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Lenny Rébéré, narrations-kaléidoscopes


Lenny Rébéré glane, collecte, trie, coupe et colle des images, qu'il compose et dessine au fusain suivant une narration secrète laissée à la libre interprétation de chacun. Ses dessins racontent des histoires, celles de nos vies urbaines dont les existences se superposent et s'agrègent à la mémoire des rues, immeubles, musées, places ... A seulement 24 ans, Lenny est un tout jeune artiste mais aussi une vieille âme.



Photo Fabienne Grolière



Tu es toujours aux Beaux-Arts, mais tu as fait le choix de travailler à Aubervilliers ?


Oui, l’opportunité s’est présentée de rejoindre cet atelier. Des anciens des Beaux-Arts réunis sous forme d’association – Le Houloc - m’ont embarqué dans l’aventure ! L’association a reçu une bourse des Beaux-Arts ; l’école encourage ces collectifs. Ils étaient une dizaine au départ, mais le lieu trouvé à Aubervilliers était si grand, qu’ils ont ouvert les portes à d’autres artistes. Le plateau était vide. Nous avons tout construit !



J’ai vu que tu avais fait des études à Estienne en gravure avant de rejoindre l’ENSBA. Qu’est-ce que cette formation initiale t’a apporté dans la pratique du dessin ?


L’école Estienne forme des artisans graveurs ; l’enseignement y est très technique. Je pensais au départ travailler dans un atelier de gravure, plus comme artisan que comme artiste. Une de mes profs à Estienne – Françoise Pétrovitch – m’a fait découvrir le dessin comme une œuvre en soi. Maîtriser la gravure suppose un enseignement assez poussé en dessin académique. Elle était très exigeante et un excellent professeur.



L'Homme-boîte - Kôbô Abé (série de 11 pièces imprimées en 5 exemplaires), Gravure carborundum, taille-douce, gauffrage, projection vidéo


Tu souhaitais initialement devenir graveur ?


Etre artiste plasticien était très obscur pour moi. J’étais très jeune - tout juste 17 ans - lorsque je suis arrivé seul à Paris de Lyon, où j’ai grandi. Lorsque j’étais enfant, mes parents m’emmenaient voir beaucoup d’expositions dans les musées. J’ai reçu une culture muséale classique mais je ne connaissais rien au monde des galeries. Les Beaux-Arts me faisaient peur et Estienne offrait la possibilité rassurante de créer avec mes mains tout en apprenant un métier d’art. La rencontre avec Françoise a été déterminante dans ma volonté d’étudier aux Beaux-Arts car elle m’a conforté dans ma curiosité pour l’art contemporain. Lorsque j’ai passé le concours, le lieu et l’ambiance m’ont plu. La situation géographique de l’école favorise les échanges avec le public et les professionnels ; ça donne aussi envie aux étudiants d’aller comprendre ce qu’il se passe dans les galeries alentours. C’est comme cela que j’ai rencontré Isabelle Gounod (la galerie qui représente Lenny, NDLR).



Tu pratiquais la gravure sur quels types de supports ? Est-ce que tu continues ?


Des supports de toutes sortes : majoritairement la taille douce sur cuivre, la xylogravure, la litho, la sérigraphie et aussi la typo plomb. Tous les procédés de reproduction en multiple et d’édition. Les beaux-arts proposant une liste d’enseignements techniques très variés, j’ai laissé la gravure de côté pour m’essayer à d’autres pratiques.


Aujourd’hui malheureusement, j’ai arrêté faute de matériel. Il faut une salle des acides, une infrastructure spéciale, une presse, etc. J’en cherche une actuellement (elles se donnent parfois entre graveurs), mais doucement car nous n’avons pas encore la place au Houloc !



Que doit ta pratique du dessin à la gravure ?


Le dessin est le départ de tout, surtout en gravure. La fabrication des images gravées sur cuivre s’élabore souvent en plusieurs étapes techniques successives selon le rendu final souhaité, généralement en passant par différents bains d’acide. L’image doit souvent se construire lentement : l’étape du trait, puis celle des trames et enfin des valeurs. Dessiner avec de telles contraintes n’est pas naturel et tranche avec la spontanéité que l’on prête généralement au dessin. J’en ai gardé cette idée de procédés successifs dans la construction d’une image – le trait, la trame, les valeurs – tout en utilisant une matière moins noble que le cuivre, plus brute - le fusain – qui reste du bois cramé.


Sans titre, crayon et fusain sur toile, 2016, 130 x 195 cm



Tu travailles donc au fusain pour l’essentiel ?


Je dessine au crayon ou au fusain sur papier ou sur toile, pour les grands et très grands formats.



Quels types de papier et de toile ?


Je travaille sur du BFK Rives, un papier de gravure très cotonneux qui s’arrache et se gratte très bien. La toile est en coton brut dont j’aime la matière douce et le velouté. Elle donne une teinte intéressante au dessin, comme s’il avait jauni avec le temps, presque sépia. L’objet de la toile tendue sur un châssis m’intéresse en cela pour le dessin. J’en aime la matérialité, en contraste avec les images numériques que j’utilise comme modèles et éléments de narration.


Sans titre, fusain et crayon sur toile, 2016



Quel rapport entretiens-tu avec ces images, comment les utilises-tu dans ton travail ?


Les images définissent et traduisent certaines mœurs de notre société. Ma génération a grandi et s’est construite à travers elles. Elles déterminent la façon dont on existe aux yeux des autres, et témoignent souvent d’un désir d’ « extimité ».


La culture de l’image m’intéresse beaucoup, quand on les appréhende comme un langage social. Quand j’étais à Estienne, je créais des gifs pour m’amuser, des zappings très rapides d’images subliminales issues d’internet, souvent inutiles et parfois trash. Mes dessins peuvent être vus comme un arrêt entre deux images de ces zappings.



Où les trouves-tu ?


Je glane des images de toutes sortes un peu partout sur internet, dans les magazines, les livres ou des instantanés de films. Je les archive ensuite selon des critères qui me sont propres et pioche dans cette collection pour composer mes dessins. Le classement s’opère de façon très basique et pragmatique, en fonction de ce que représente l’image : « homme seul dans une rue vide », « homme seul dans une rue avec d’autres personnes »… L’origine de ces images m’importe peu.


Sans titre, fusain et crayon sur papier, 2018, 40 x 60 cm



Une classification assez littérale, donc, en fonction de ce que tu vois sur l’image.


Oui, tout à fait. Je compose ensuite mes dessins comme un rébus. C’est une sorte de jeu de langage. Si chaque image est un mot, le dessin final est une phrase.



Tu constitues un dossier iconographique par œuvre ?


Non, mais je sais exactement quelles images j’ai utilisées. Certaines peuvent servir à la composition de plusieurs œuvres.



Une même image peut-elle aussi être rangée dans différents dossiers ?


Oui et c’est un sacré problème ! Je m’y perds parfois. Mon système d’archivage a ses limites !



En moyenne, combien d’images contient chaque dossier ?


Environ 600. J’ai deux disques durs entièrement pleins. Certaines sont en haute définition, d’autres non. Quand la définition n’est pas assez bonne, je n’accède pas toujours aux détails de l’image qui pixellise quand on la zoome. Il faut alors travailler différemment. C’est intéressant.


Lenny me montre un de ses dessins. Sur une des images utilisées pour ce dessin, les visages n’étaient pas reconnaissables. J’en ai donc utilisé d’autres pour les dessiner, comme une sorte de collage.


Sans titre, crayon et fusain sur toile, 2016, 200 x 300 cm



Cela m’évoque des techniques contemporaines comme photoshop qui permettent et facilitent la fabrication de nouvelles images à partir d’images préexistantes glanées à droite et à gauche. Te sens-tu proche de cela ?


Oui, tout à fait. Je me nourris de la culture numérique, comme vecteur de manipulation des images et du langage.



Ces manipulations d’images s’inscrivent-elles également dans des pratiques plus anciennes de collages, telles que les surréalistes les pratiquaient ? Cela a-t-il pu t’influencer - pas graphiquement car je ne vois pas de correspondance – mais sur la démarche de création ?


Dans le processus de création, on peut y voir un lien, même s’il ne s’agit en aucun cas d’une revendication. Je me sens plus proche d’autres artistes dont les œuvres apparaissent comme des mises en scènes théâtrales. Des peintres dont les œuvres sont très composées, à travers lesquelles on peut imaginer une histoire figée mais qui se donne à l’interprétation, comme une suspension narrative. Je pense à Hopper ou à Borremans, par exemple. C’est comme cela que je compose aussi avec l’idée d’une petite pièce de théâtre où se chevauchent plusieurs scènes.


Edward Hopper, Conference at night, huile sur toile, 1949, Wichita Art Museum



Une pièce de théâtre dans laquelle tu racontes une histoire ?


Une histoire qui s’offre à la lecture et à l’interprétation. C’est pour cela que je ne donne plus de titre à mes œuvres car ils étaient sources de confusion. Les raisons pour lesquelles j’avais choisi tel ou tel titre n’apparaissaient pas clairement dans les dessins et conduisaient certaines personnes à s’y égarer plutôt qu’à créer leur propre narration. Au tout début, les titres étaient constitués des lignes de code des images utilisées. C’était un peu compliqué ! Je les ai vite supprimés.


J’aime que les gens créent leur propre lecture, ouvrent leur imagination sans s’enfermer dans une direction. Les histoires imaginées sont souvent très différentes de celles qui m’ont guidé lors de la composition du dessin.


Planche 79 de l'atlas mnémosyne d'Aby Warburg



Tu donnes un sens à une infinie variété d’images sans rapport apparent les unes les autres. Cela m’évoque l’atlas mnémosyne d’Aby Warburg.


Oui c’est possible. Je crée à partir d’images de sources et de cultures très différentes, que je collectionne d’une manière presque archéologique. En ce sens, j’y vois une certaine représentation du monde, dont je viens assembler ou confronter des éléments disparates.



Te racontes-tu une histoire ou s’élabore-t-elle de façon aléatoire ?


Je crée une histoire. Tel personnage regarde tel autre pour une raison précise qui m’est propre, même si l’interprétation s’exprime ensuite librement. Ce sont souvent des scènes du quotidien, sans dimension politique, ni engagement. Des scènes que l’on connait tous, dotées d’un pouvoir identificatoire, un reflet de la société.


Sans titre, huile sur toile et fusain, 130 x 195 cm, 2016 Crédit photo Adrien Thibault



Tes dessins se composent de superpositions d’images fantomatiques qui font justement penser à des reflets.


Comme un rêve éveillé ou une flânerie. L’image fantomatique renvoie à la mémoire de choses enfouies, qui tout à coup surgissent comme des flashs. Ils entretiennent aussi un rapport étroit avec les écrans où défilent des successions ininterrompues d’images . D’où également mon utilisation du verre depuis peu.


Lenny me montre le dossier papier qui réunit ses œuvres. J’y remarque une très belle installation en verre.


C’est du verre miroir couleur cuivre que j’ai gravé pour cette installation.


Fragments (détail) - verre gravé et encré, métal - 2017



Comment travailles-tu sur ce support ?


Je le grave de façon très physique avec une fraise ou bien, plus récemment, avec un acide spécial qui dépolit le verre. L’étape de la gravure permet que l’encre accroche et tienne dans le temps. Je souhaite me rapprocher le plus possible de mes dessins au fusain sans que cela ait l’air d’un monotype, ce qui arrive souvent sur ce support.



Les espaces urbains sont très représentés dans tes dessins, beaucoup plus que la nature.


Je vis à Paris et ce que je vois au quotidien m’influence. Depuis que je travaille à Aubervilliers au milieu de la zone industrielle, j’ai envie de travailler avec du grillage ou de la tôle perforée.


Sans titre, fusain et crayon sur papier, 2018, 60 x 40 cm


L’architecture y tient également une place importante.


C’est l’idée de la scène de théâtre : un lieu, un décor, des personnages. Je m’intéresse beaucoup à la façon dont l’histoire se construit et se modifie selon le lieu. Il y a toujours cette impression que donne une grande ville, la promiscuité, la foule, les fenêtres des immeubles, le métro. J’aime cette représentation de l’univers urbain dans lequel j’évolue, où l’architecture tient en effet une place essentielle.


Et la lumière ? J’ai en tête les dessins de Seurat en voyant tes derniers dessins.


La trame du dessin est très présente, donnant une impression de flou qui te fait penser à Seurat. Mes modèles sont le plus souvent affichés sur un écran : je ne travaille qu’avec de la lumière artificielle.



Dessins de Georges Seurat, fusain sur papier. Cliquer sur chaque image pour l'agrandir


Quels sentiments exprimes-tu dans tes dessins ?


Comme tout artiste, je régurgite mes impressions, qu’elles soient gaies ou au contraire mélancoliques.



Y a-t-il parfois de l’humour ?


Très rarement ! On ne peut pas dire que les visages que l’on croise dans le métro inspirent la joie ! Et puis sans vraiment savoir pourquoi, je ne me sens pas de travailler pendant des mois sur une peinture ou un dessin dont l’humour serait une finalité. Une bonne blague est souvent la plus courte ! En revanche, je m’amuse beaucoup en cachant des anecdotes personnelles dans mes dessins.


C’est ça qui est drôle justement ! Comme l’escargot de l’Annonciation de Francesco del Cossa ou les attributs sexuels cachés dans le verrou de Fragonard si bien décrits par l’historien de l’art Daniel Arasse… Je ne peux imaginer que ces artistes n’aient pas eu un sourire en coin en peignant ces tableaux. J’aime en tous cas le penser.


Chez Fragonard, l’image cachée reste dans le thème du tableau : l’expression du désir sexuel. Dans d’autres images, par exemple dans des productions cinématographiques de Disney, les images cachées leur sont au contraire complètement antagoniques, comme le sexe masculin inscrit dans le décor du château de la petite sirène par exemple. Quant on le voit une fois, on ne voit plus que ça. Pour ma part, je m'amuse plutôt à incruster le visage d’un ami, la tête d’un enfant en arrière plan d’un dessin. Ce n’est pas toujours reconnaissable mais je le sais et ça me fait beaucoup rire !



Sans titre, crayon et fusain sur papier, 2018, 30 x 40 cm



Je reviens au processus de fabrication de tes dessins - long et traditionnel : un fusain et une feuille de papier – qui tranche avec l’instantanéité des images numériques avec lesquelles tu travailles.


Prendre le temps est important. Je laisse beaucoup les choses en pause. Je réalise plusieurs dessins en même temps, passe de l’un à l’autre, arrête pendant quelques mois puis les reprends. Ca me permet de prendre du recul. Je travaille sur un temps long et très morcelé.


Dans mes dernières toiles, j’ai peint une première composition un peu compliquée, puis l’ai ensuite arrêté avant de la reprendre à la faveur d’autres expérimentations : je suis reparti de zéro en essayant d’oublier l’image initiale et je suis intervenu sur la toile plus brutalement, sans modèle, comme si elle était redevenue un support vierge, quitte à gâcher la toile. Cette démarche est nouvelle pour moi. Elle me permet de me lâcher.



Une démarche presque iconoclaste au sens premier du terme. Une volonté de détruire les images.


Elle fait suite à une période d’intense activité de dessin sur papier, pendant laquelle je suis resté cloîtré chez moi pendant quatre mois. Une période assez anxiogène, expliquant cette volonté de lâcher prise qui s’exprime actuellement dans un geste final sur mes peintures. J’aime aussi l'idée d’une image qui change de statut pour devenir objet. C’est sûrement plus flagrant avec mon travail sur verre, où l’œuvre finale se décline parfois en une installation dans l’espace d’exposition.


Tes dessins imposent de la rigueur et je comprends que tu veuilles parfois lâcher prise !


Oui et je n’ai que 24 ans ! J’ai le projet de graver un grand dessin sur du verre sécurit de très grand format et de le briser au dernier instant à la masse. Revenir à l’état d’objet. La symbolique en est très belle. C’est pour l’instant une idée en devenir. Je cherche.



En quoi la notion d’objet qui revient souvent dans tes paroles est-elle si importante et que recouvre-t-elle ?


Il m’est difficile de l’expliquer. Je baigne dans un univers numérique ; l’objet vient contrebalancer cette immatérialité. J’ai besoin de revenir à quelque chose de concret, de formel, de tactile, comme c’est le cas en gravure.


Sans titre, crayon et fusain sur papier, 2018, 60 x 40 cm



Comment passes-tu de ta banque de données iconographiques à la composition de tes dessins. Réalises-tu un croquis préalable ?


J’imprime d’abord les images sur papier ou les édite sur ipad. Je crée ainsi mes mots et les compose. Je dessine ensuite les contours de ces images puis les mets en valeur. C’est à cette étape de mise en valeur que les images se mélangent. Une fois les traits dessinés, je ne discerne plus les images préalables. C’est un travail de déconstruction.


La façon de dessiner est très différente selon que le support est du papier, de la toile ou du verre. Il est très difficile de gommer sur la toile, contrairement au papier dont les repentirs possibles permettent d’agir plus librement en ajoutant ou en ôtant des images. Avec le verre, aucun repentir n’est possible ! Si tu te trompes, il faut regraver.



Sans titre, fusain et crayon sur toile, 2018, 30 x 40 cm



Malgré ces difficultés techniques, tu travailles énormément. Ta production de 2018 est déjà impressionnante, surtout pour un si jeune artiste. Quelles sont tes influences ?


Les influences se tissent au jour le jour, à partir de mon environnement, des gens qui m’entourent. Mon matériau premier est mon quotidien. Je régurgite ce que je vois et ressens.


Quant à mes influences artistiques, je les tire plus de la littérature que des arts plastiques. Je viens de terminer Pétrole, le roman inachevé de Pasolini. J’y vois beaucoup de liens avec mes dessins dans la construction du récit, l’imbrication complexe de scènes où tous les temps se mélangent. Au delà du caractère très cru propre à l’auteur, la lecture de ce roman m’a donné de nombreuses idées d’ambiances.


Dans le champ pictural, je m’intéresse en ce moment à Sigmar Polke, en particulier son expérimentation de la transparence et l’utilisation des images.



En parlant de Polke, quel rapport entretiens-tu avec la photographie, un médium que cet artiste a beaucoup utilisé ?


C’est ma matière première mais je n’ai moi-même aucune pratique artistique en photographie. Je travaille sur la représentation de la société au regard des images que celle-ci crée. Le numérique ouvre à pas mal de sujets comme le réseau, la surveillance, l’identité, l’anonymat, le vrai, le faux, etc…


En ce sens, la série A Series of Unfortunate Events de Michaël Wolf m’a beaucoup marqué. Il a travaillé à partir de google street view en recadrant des scènes étranges dans la rue ou en zoomant le visage des passants, puis photographié son écran d’ordinateur. La série est composée d’images pixelisées très étranges, avec des scènes parfois absurdes ou poétiques. L’image captée par la machine paraît complètement décontextualisée, comme si l’écran de l’ordinateur jouait le rôle d’une frontière infranchissable avec la réalité, bien que la scène se soit peut-être déroulée en bas de chez soi. Les passants deviennent des présences. Ses silhouettes fantomatiques me touchent beaucoup.



A Series of Unfortunate Events, Michaël Wolf



Dans tes dessins, les personnages apparaissent aussi de façon fantomatique.


Je pense, plutôt qu’aux fantômes, aux jaillissements soudains d’images qui reviennent tout à coup à ta mémoire. Ca m’arrive assez souvent quand je suis ailleurs, dans mes pensées.



C’est souvent le fait de personnes rêveuses…


Sûrement. J’avais réalisé une série de vidéos intitulées Les palaces temporaires, des portraits de personnes qui ne font rien, perdues dans leurs pensées, que j’avais projetées au milieu de mes dessins. Quand je cherche mes images sur internet, je déambule.


Les palaces temporaires, teaser, 2016



T’intéresses-tu à la bande dessinée ? Même si graphiquement cela n’a pas grand-chose à voir avec tes dessins, il y a quelque chose qui m’y fait penser. Peut-être dans la narration.


J’en ai beaucoup lu. Mon père avait une bonne bibliothèque. Ma sœur ainée qui est illustratrice dessine des bandes dessinées pour les enfants. J’ai, à mon tour, observé l’illustration jeunesse lorsque j’hésitais encore entre différentes pratiques artistiques.



Regarde Here (Ici pour le titre français), de Richard Mc Guire qui avait reçu le prix du meilleur album à Angoulême il y a deux ans. Il y a des correspondances avec ton travail, pas sur un plan graphique, mais dans la façon d’aborder la temporalité. Dans ce roman graphique, McGuire dessine le plan fixe d’un lieu situé dans le New Jersey – de - 3 500 000 000 à l'an 22 175 – en alternant et superposant les époques. Différentes temporalités s’imbriquent dans les images, créant des liens entre les narrations sous-jacentes, des narrations non écrites que le lecteur imagine.


Ma première exposition chez Isabelle Gounod s’appelait justement Ici et là… J’irai voir ce livre. Tu as piqué ma curiosité !



Une dernière question sur tes projets à venir.


Je vais passer mon diplôme de l’ENSBA en novembre. En mars 2019, je fais ma deuxième exposition individuelle chez Isabelle Gounod en même temps que le salon du dessin. Mes dessins prennent du temps à réaliser. Je ne pourrais pas, comme certains artistes, faire cinq expositions par an ! C’est bien de prendre du temps pour réfléchir.


Sans titre, huile sur toile, 2017, 130 x 192 cm


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