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Marion Fayolle, l'art poétique des fresques de papier


Il y a un peu plus de cinq ans, je découvrais le magnifique travail de Marion Fayolle grâce à Tiffany Khalil qui tenait alors une très belle librairie-galerie d'illustration, livres d'images et romans graphiques rue de Charonne, à Paris. J'y avais acheté L'homme en pièces, le premier livre de Marion, d'une étonnante maturité graphique et littéraire et n'ai cessé, depuis, de suivre son oeuvre. Dans ses fresques de papier, Marion pose un regard poétique et singulier sur ses contemporains. Je la remercie de s'être prêtée au jeu des questions - réponses avec beaucoup de gentillesse et de délicatesse.

Tu as fait tes études aux Arts-Déco de Strasbourg qui forme depuis des années une scène artistique extrêmement intéressante et dynamique. Quels professeurs/cours t’ont plus particulièrement intéressée ou influencée ? Que t’ont apporté les années passées dans cette école ?


Extrait des Amours suspendues, à paraître aux éditions Magnani


Ma formation à Strasbourg m’a énormément apporté. C’est une école dans laquelle les étudiants dessinent, créent des bijoux, font de la scénographie, du graphisme, du design, de la peinture, de la sérigraphie, de la gravure… Il me semble que cette ouverture est très importante et permet d’envisager l’illustration intelligemment. A Strasbourg, on cherche à faire des images mais on se pose aussi la question de l’impression, de l’histoire, de l’objet livre. Guillaume Dégé, un de nos enseignants, a beaucoup compté pour moi. Il nous a toujours encouragés à faire des projets ambitieux, a nourri nos pratiques d’innombrables références en nous montrant d’incroyables livres anciens et plus contemporains. C’est lui aussi qui incite les étudiants à faire des revues collectives. C’est à Strasbourg qu’avec Simon Roussin et Matthias Malingrey nous avons créé la revue Nyctalope.



Revue Nyctalope, n°1, Couverture de Simon Roussin



Dessinais-tu quand tu étais enfant ? Quels étaient tes sujets favoris ?


Je dessinais presque tout le temps ! J’adorais illustrer des poèmes et recopier des dessins dans mes livres pour faire de nouvelles compositions. J’écrivais des histoires et j’aimais tout ce qui était manuel et demandait de la patience.


Extrait de Le tableau, juin 2012, éditions Magnani



Quels artistes ont influencé ton travail ? Ou si ce n’est influencé, qui t’émeuvent particulièrement ?


Dessin de Roland Topor


Il est compliqué de répondre simplement parce que beaucoup de choses différentes viennent nourrir mon travail : des lectures, des films, des spectacles, des détails de la vie, des discussions. La découverte du travail de Roland Topor m’a vraiment bouleversée. La Maman et la putain de Jean Eustache est un film que je regarde plusieurs fois par mois tant il m’émeut. Il y a aussi les livres de Romain Gary que je relis souvent.


La maman et la putain, Jean Eustache, 1973



J’ai adoré et adore toujours les livres de Agnès Rosensthiel des années 70 - début 80 que je lisais lorsque j’étais enfant et qui sont plein de poésie, d’humour et très joliment dessinés. Je trouve qu'il y a une filiation entre vos travaux, notamment les personnages de profil. Connais-tu son travail ?


Je ne connais pas très bien son travail. Mais il est vrai qu’il peut exister des liens.


Le patriotisme économique, paru dans Télérama


Extrait de Le français en liberté, Agnès Rosensthiel, Larousse, Septembre 1983



En parlant de personnages de profils, les tiens le sont souvent. Agnès Rosensthiel dit, concernant son travail, être influencée par les fresques égyptiennes...


C’est vrai : mes personnages sont souvent de profil ! J’adore regarder les fresques égyptiennes et la façon dont je construis mes histoires, comme des bandes, avec des personnages en pied, toujours à la même échelle peut aussi faire penser à ça !


Fragment du papyrus funéraire de Tameni, Troisième période intermédiaire égyptienne, British Museum



Quelles techniques utilises-tu ? Les couleurs de tes dessins sont particulièrement belles.


Ma technique est un peu complexe. Je dessine d’abord mes éléments, juste comme des formes. Ensuite, je les numérise, je les colorise sur photoshop et j’imprime ces formes sur du plastique. Comme l’encre ne sèche pas sur ce support, je peux ensuite la transférer, comme si c’était un tampon, sur une feuille.

Une fois mes couleurs posées, je redessine les contours et les trames à l’encre avec un rotring ou une plume en fonction des éléments. Cette technique que j’ai mise au point durant plusieurs années me permet d’avoir des couleurs un peu abîmées, vivantes.


Extrait des Amours suspendus, à paraître aux éditions Magnani


Y a-t-il un type de papier que tu affectionnes particulièrement pour dessiner ?


Pour que mes transferts d’encre soient réguliers, je travaille sur des papiers très lisses. Par contre, avec Julien Magnani, on choisit toujours d’imprimer mon travail sur un papier avec plus de matière, plus chaud. Et je préfère !



A travers tes dessins, tu évoques le monde contemporain avec beaucoup de poésie et un humour subtil. Quelle intention y mets-tu ? Les idées te viennent-elles directement sous forme de dessin ?


Au début, je ne me sentais pas auteure. Je n’avais pas l’impression d’arriver à écrire des scénarios, ni à formuler clairement ce que j’avais envie de dire. Je faisais alors simplement des images. Et petit à petit, j’ai commencé à imaginer que mes images pourraient bouger. Bouger jusqu’à raconter, jusqu’à faire rire, jusqu’à questionner. C’est comme cela que je pense mon travail. Je suis comme une enfant qui s’amuse et construit des histoires au fur et à mesure sans savoir vraiment ce qu’elle va raconter.



Extrait de Les coquins, éditions Magnani, mai 2014



Tu as déjà abordé beaucoup de sujets et ce sans tabous (je pense notamment à ton livre Les coquins). Y a-t-il des sujets (politiques, par exemple) que tu ne souhaites pas aborder ? Ou à l’inverse des sujets de prédilection ?


Je crois que ce qui m’intéresse le plus c’est de parler des rapports humains. Lorsque je dessine, c’est souvent pour essayer de rendre visibles des choses du domaine de l’indicible, de l’immatériel. Chaque livre est comme une exploration. Avec Les Coquins, j’avais envie de m’amuser et de parler de sexualité avec humour et légèreté. Dans La Tendresse des pierres, j'ai réfléchi au rapport que j'entretenais avec mon père malade. Le sujet était lourd mais j’ai essayé d’apporter une lecture symbolique. Et là, je viens de terminer un livre qui paraîtra en octobre aux éditions Magnani et qui questionne le sentiment amoureux sous forme de comédie musicale.


Extrait des Amours suspendues, à paraître aux éditions Magnani



Ton travail se partage entre un travail de commande (pour la presse, notamment, que ce soit le NYtimes, le Fooding ou d’autres) et un travail « personnel » (je mets des guillemets car cela ne veut pas dire que ton travail de commande ne le soit pas). Ta façon de travailler est-elle différente dans ces deux hypothèses ? Qu’est-ce que l’un apporte éventuellement à l’autre ?


En effet, je partage mon temps entre des projets personnels, très longs qui me prennent beaucoup d’énergie et me demandent une grande ténacité et des projets plus courts, souvent pour la presse. Ces deux parties de mon travail sont complémentaires. Il me semble que les journaux qui me commandent des dessins me donnent des thèmes qui collent avec ce que j’aime raconter parce que les directeurs artistiques connaissent mes livres. Souvent, une idée née pour la presse va ensuite se développer dans un de mes livres. Il y a sans cesse des va et vient.


Les traumatismes collectifs, paru dans le NYTimes



Les personnages tiennent une place centrale. Qu'en est-il des décors et des paysages dans la narration ?


Je m’intéresse essentiellement aux personnages. D’ailleurs, souvent, mes fonds sont blancs et les décors inexistants. Dans La Tendresse des pierres, j’ai, pour la première fois, choisi de situer mes personnages dans des décors. Mais ceux-ci sont symboliques, ils viennent comme le prolongement de l’état d’âme de mes personnages. Mes décors sont très minimalistes : un sol, un ciel et c’est à peu près tout.


Extrait de La tendresse des pierres, éditions Magnani, Octobre 2013



Tu as travaillé il y a quelques années pour la marque Cotélac. Tes dessins ont été imprimés sur du tissu, utilisé pour des vêtements. Soit une toute autre façon de voir vivre tes dessins (avec mêmes de possibles différences en fonction de la matière des tissus). Cela t’a-t-il conduite à travailler différemment ?


J’ai eu la chance de collaborer avec Cotélac. C’était super de voir mes dessins imprimés sur un autre support et de les croiser sur le corps des gens. Cette expérience m’a beaucoup plu et j’aimerais bien travailler une prochaine fois pour la mode. Mes dessins et mes planches ressemblent déjà beaucoup à des tapisseries, à des motifs, alors c’était une collaboration assez évidente.


Cotélac vu par Marion Fayolle, 2014



Je crois savoir que tu n’aimes pas vendre les dessins de tes livres mais dessines-tu également en dehors des commandes et de tes livres ? Ce serait chouette qu’une exposition te soit dédiée !


Je préfère garder mes originaux ! En dehors de mes livres et des mes dessins de commande, je ne dessine pas vraiment. A vrai dire, il ne me reste pas de temps. Mes livres me prennent énormément d’énergie (le dernier représente plus de trois ans de travail) et sont, pour moi, les plus importants. Je n’exclus pas l’idée de faire des dessins pour une exposition. Mais cela ne fait pas partie de mes priorités et il faut faire des choix.


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