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Aline Deguen, Délicatesse dessinée


Les rencontres empruntent parfois d'étonnants chemins. Il y a trois-quatre ans, par un heureux concours de circonstances, la créatrice d'objets en papier Marianne Guély dont l'atelier se trouve en bas de mon bureau me montra de merveilleux pétales dessinés par une toute jeune artiste à peine sortie des Arts-Déco de Strasbourg : Aline Deguen. Je me suis évidemment empressée de la contacter pour découvrir ses mondes dessinés. Un hasard en appelant souvent un autre, nous nous découvrîmes quelques années plus tard un proche cousinage par alliance qui offrit un sens supplémentaire à notre rencontre. Les dessins d'Aline sont à son image : délicats, poétiques, beaux.



Lisais-tu quand tu étais enfant ?


J’avais beaucoup de livres. Ma mère était institutrice au Japon. Lorsqu’elle s’est installée en France, elle est devenue professeur de japonais et mon grand-père lui a envoyé une cargaison de livres illustrés.



Menu Olfactif, Aline Deguen



As-tu gardé certains de ces livres ?


Oui, mais mes préférés sont morts d’usage !


Oui, bien sûr, c’est ainsi que les livres d’enfant doivent être quand on les a lus, relus et rerelus… J’essaie de retrouver mes livres morts d’usage dans les vide-greniers. Dessinais-tu aussi beaucoup ?


J’aimais dessiner et concevoir des petits journaux, des petits carnets. Parfois, je redessinais des livres que j’aimais. Beaucoup de livres japonais donc, mais aussi de l’Ecole des loisirs. Au lycée, j’ai pris des cours de dessin pour apprendre les bases du dessin comme la perspective, les volumes.... J’aimais aussi beaucoup la céramique que j’ai un temps pratiquée, mais il m’aurait fallu une vie supplémentaire pour m’y consacrer.


Menu Olfactif, Aline Deguen



Qu’est ce qui t’a amenée à travailler en sérigraphie ?


L’atelier sérigraphie des Arts Déco de Strasbourg où j’ai étudié était étonnant, foisonnant. Il y avait toujours plein de gens. Par curiosité, on y entrait et il en sortait des choses très belles. J’aimais beaucoup cette ambiance et l’idée de créer des multiples. J’ai d’abord imprimé sur de la terre puis sur du papier. Curieusement, ça a fait évoluer mon dessin, en privilégiant les grands aplats à la gouache. Avant cela, j’avais beaucoup de mal à retoucher mes dessins sur scan et ils étaient très difficiles à imprimer correctement.



Qu’est ce qui te plait particulièrement dans cette technique ?


Les couleurs, le fait que l’on puisse faire des formats immenses, les différentes matières d’encre : on peut avoir du brillant, du mat, des encres étonnantes comme du nacre ou des couleurs fluorescentes. C’est un rêve de pouvoir faire une édition avec du doré, par exemple !



Livre autoédité Fins du monde, Aline Deguen

En parlant des encres et des couleurs, les tiennes sont très belles. Le bleu y est très présent.


J’aime beaucoup le bleu et l’utilisation des pigments. Avant, les peintres étaient un peu chimistes ; cette idée me plait. Au japon, les pigments sont très utilisés. Il y a des choses incroyables : des pierres précieuses broyées, des pigments à base de poudre de verre teintée…


Tu m’as aussi indiqué beaucoup aimer la gravure…


Avant d’aimer la sérigraphie, j’ai aimé la gravure. Un artiste japonais dont je ne me rappelle plus le nom m’avait permis de faire un stage dans l’atelier de Bo Halbirk à Paris, en face de l’atelier Arcay. Bo avait fabriqué une machine avec deux anciens rouleaux de gravure pour créer des dégradés. C’était très beau ! C’est à cette époque que j’ai commencé à créer des dégradés. Par la suite, je suis partie étudier en Pologne pendant six mois en Erasmus. J’y ai eu d’excellents profs comme Wladyslaw Pluta qui a un travail magnifique de typo. L’atelier de gravure était vraiment magnifique. Les plaques de métal étaient très peu onéreuses et j’ai donc pu les utiliser en très grand format sans avoir peur de les gâcher. Je n’aurais jamais osé en France car les plaques coûtent très cher. Cela m’a permis de relativiser les ratés.


Quel lien éventuel peux-tu établir entre tes œuvres, très délicates, poétiques, épurées et ta culture japonaise ?


Nous sommes forcément imprégnés de tout ce qui nous entoure, de tout ce que l’on reçoit. Tous les ans, je partais un mois des vacances d’été chez ma grand-mère à Hiroshima. J’étais immergée dans la culture japonaise. Elle dessinait des petites aquarelles sur des cartes qu’il était alors d’usage d’envoyer par voie postale accompagnées d’une petite pensée.


Conte d'Aliocha, Aline Deguen



L’idée que je me fais de la culture japonaise - un soin extrême porté à l’équilibre des choses et une pureté/économie de moyen – me paraît proche de ton travail.


L’écriture sous forme de kanji apporte, je pense, ce sens de l’économie et de la structure. Et plus généralement la façon de vivre des japonais jusqu’à l’organisation de la maison qui est très particulière au Japon avec l’absence de lit, le futon que tu plies et ranges tous les matins.




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Tous les apprentissages si anodins qu’ils puissent paraître ont sûrement une influence sur la façon de penser, les représentations du monde et donc la création. Pour revenir au Japon, nous avons plusieurs fois parlé de grands affichistes et illustrateurs japonais qui t’ont influencée.


Oui, il y a notamment Tadashi Ohashi qui a dessiné de nombreux légumes à l’aquarelle. J’adore les planches anatomiques de fleurs et ses dessins presque anatomiques de légumes sont très beaux. C’est un vieux monsieur maintenant mais son dessin n’a pas pris une ride. Il est étonnamment peu connu en France. Sinon, il y a bien sûr Nagai…



Kazumasa Nagai est un des plus grands affichistes et illustrateurs japonais et il y a - me semble-t-il - une filiation évidente avec tes œuvres.


Il a tellement produit : c’est incroyable ! Aussi bien des dessins presque naïfs comme son lion que j’adore que des dessins très psychédéliques faits sur ordinateur… Sa production est foisonnante. Il m’a évidemment influencée.



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Tu viens de publier un magnifique livre écrit avec ton mari, Jean-Philippe Basello, La divergence des icebergs aux éditions Thierry Magnier. Quelle en est la genèse ? Les images, d’une extrême douceur et délicatesse, sont magnifiques.


Pendant ma cinquième année aux Arts Déco de Strasbourg, j’avais lancé une revue en sérigraphie sur les baleines – L’ordre des cétacés - et sorti trois numéros. Ca m’avait énormément plu. Quand je suis sortie de l’école, j’ai momentanément arrêté la sérigraphie et me suis vite languis de cette technique. Je m’y suis remise chez moi, à Paris, avec une petite installation un peu artisanale. Une difficulté à laquelle je faisais face pour caler et superposer mes couleurs m’a conduite à créer des formes de puzzle dans du contreplaqué que j’emboitais. J’ai créé des petites éditions avec cette technique, un peu fastidieuse à mettre en œuvre mais intéressante visuellement. Dans le livre La divergence des icebergs, je voulais retrouver cet aspect et j’ai superposé gravure et sérigraphie pour donner une trame. Les dégradés étaient beaucoup plus délicats avec la technique de gravure.


La divergence des icebergs, édition Thierry Magnier


A propos de formes découpées dans du contreplaqué, tu viens de me montrer le livre d’une exposition récemment consacrée aux maîtres de l’affiche japonaise où l’on retrouve Nagai, Fukuda et bien d’autres. Nous sommes toutes les deux tombées en admiration devant un livre de recette sous forme de puzzle.


Quand j’ai vu les livres puzzle de Takafumi Kuzagaya, ça m’a effectivement donné très envie et rejoignait l’idée de mes formes découpées utilisées comme des tampons pour la réalisation de mes livres. Lors de la séance de signature dans la librairie d’Hermès où tu es passée l’autre jour, nous avions exposé un tableau d’ours polaires en bois découpés. Les gens, y compris toi, ont adoré. J’aimerais beaucoup poursuivre ces expérimentations.



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Les formes des puzzles du livre de Kuzagaya sont très abstraites. On dirait presque du Arp. J’imaginerais bien tes œuvres cohabiter avec des artistes comme Soto, Cruz-Diez, Vasarely… L’atelier Arcay que tu évoquais a beaucoup travaillé en sérigraphie avec tous ces artistes.


Tiens, ça me rappelle un souvenir : Bo Halbirk sortant d'un tiroir une sérigraphie de Vasarely imprimée recto-verso et nous la montrant, ravi d'avoir deux images de cet artiste qu'il aimait tant !


La divergence des icebergs, édition Thierry Magnier


Les animaux sont très présents dans toutes tes images. Je n’ai pas souvenir de figures humaines.


J’aime beaucoup les animaux, les paysages. Je n’ai jamais beaucoup dessiné de personnages et ils sont désormais inexistants.


Tes dessins semblent hors du temps et aussi bien destinés aux enfants qu’aux adultes…


En fait, je ne réfléchis pas vraiment à un public. Les livres et revues que je dessine sont certes adressées à un public déterminé : La divergence des icebergs a priori pour les enfants et les revues d’anticipation parallèle éditées par le cabinet Mobi-Dic, une petite maison d’autoédition créée avec Jean-Philippe, a priori pour les adultes. Mais mon dessin reste finalement assez similaire dans les deux cas.


Sérigraphie parue dans la revue La planète des tigres, cabinet Mobidic


Certains de tes paysages frôlent parfois avec une forme d’abstraction. Est-ce ton intention ? L’abstraction, notamment géométrique, a-t-elle pu t’influencer ?


Mes formes presque abstraites sont venues petit à petit. J’ai commencé à faire des fonds en aplat : des paysages, des cailloux… et les formes se sont géométrisées. En revanche, les peintres que j’ai apprécié et apprécie toujours sont très figuratifs. Il y a Chagall et son bestiaire onirique que j’aimais particulièrement lorsque j’étais enfant. J’adore aussi Foujita.


Il y en avait un très beau à l’Orangerie à l’exposition du Bridgestone Museum of Art de Tokyo


Je n’ai pas vu cette exposition mais j’ai eu la chance de voir une rétrospective au musée d’art moderne d’Hiroshima. J’aime beaucoup ses tableaux religieux dans lesquels il s’est représenté ou encore ses nus presque transparents avec des chats. C’est tellement translucide et délicat que je me demande s’il ne travaillait pas avec des pinceaux japonais.


Utilises-tu ces pinceaux japonais ?


Oui, j'utilise des pinceaux japonais carrés en poil de cheval et des pinceaux de calligraphie avec de l'aquarelle japonaise pour mes premiers croquis, mais c’est comme la céramique : il faudrait une vie pour s’y consacrer complètement et en maîtriser la technique !


La divergence des icebergs de Jean-Philippe Basello et Aline Deguen vient de paraître aux éditions Thierry Magnier

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