Eudes Menichetti, le héros écorché

Acheter sur un coup de tête et de cœur, une œuvre d'un artiste dont on ne connaît rien n'arrive pas tous les jours. Il y a quelques années, je suis tombée amoureuse d'un dessin de Eudes Menichetti qui partage depuis ma vie, accroché à un des murs de mon salon. Par la suite, Eudes et moi sommes devenus amis et c'est en copine, collectionneuse et admiratrice de son travail que je l'ai rejoint dans son atelier pour l'interviewer. Eudes commence par m'y montrer une œuvre de sa série Indigeste réalisée en résine, qui a l’apparence du métal…
Eudes Menichetti, Bernard L'ermite, aquarelle sur papier
Tu as réalisé cette œuvre à partir d’un moulage ?
Oui, j’ai moulé le sujet en creux sur l’original en métal, puis j’ai coulé de la résine pour ce modèle. J’ai ensuite patiné l’ensemble pour retrouver l’aspect métallique, élément majeur dans mon travail.
On dirait presque un bouclier. Il y a une posture martiale dans ce tableau.
Toute la série a un côté chevaleresque, une sorte de blason baroque mi fantastique mi anatomique. Celui-ci avec sa forme ovale peut aussi faire penser à un camée géant, j’avais d’ailleurs prévu initialement de teinter la résine en rose ivoire. A la dernière minute, j’ai changé d’avis, j’ai douté, j’ai préféré assurer pour ce premier modèle.
Indigeste, résine - Cliquer sur la flèche pour faire défiler les images
Pourquoi n’essaies-tu pas sur une maquette pour voir ce que ça donne ?
On me le conseille souvent mais j’en suis incapable. De la même façon, je ne fais aucun dessin préparatoire. Je préfère me lancer directement. Si cela ne me convient pas, j’arrange, j’adapte, je transforme, je me sers de l’accident.
Sur le dessin que j’ai de toi à la maison, une pièce de papier est d’ailleurs collée sur ce que j’ai supposé être un repentir. Pourquoi réaliser une série représentant un sujet reproduit de façon presque obsessionnelle avec différentes techniques ?
Mon travail s’exprime depuis longtemps à travers l’utilisation de techniques diverses, c’est une de mes spécificités, mais mes expositions étaient souvent mono-techniques : des peintures en métal, ou des dessins ou bien encore des caoutchoucs… Je souhaitais proposer quelque chose de plus radical et montrer un panel plus varié de techniques à partir d’un même sujet.
C’était aussi cohérent avec les moulages que je commençais à réaliser.

Eudes Menichetti, Indigeste, bois pyrogravé, 150 x 100 cm
Dirais-tu que ton travail est aussi un travail de sculpteur ?
Non, c’est un travail avant tout pictural, proche du bas-relief. Je ne pense pas avoir une démarche de sculpteur, je ne crée pas des volumes. Ça reste un objet fixé au mur.
Pourquoi ce sujet-là en particulier ?
L’aspect martial et chevaleresque que tu évoquais est directement lié à mon goût pour le mythe du héros. Quand j’ai commencé, j’allais chercher les héros dans la culture populaire de mon enfance. Aujourd’hui, j’essaye de développer une mythologie plus personnelle où se côtoient le fantastique, le surréalisme, le symbolisme, le quotidien, les contes, un paradis de l’enfance revisité par l’inquiétude de soi.

Léopold Blaschka, Carinaria mediterranea, verre : à la frontière entre les arts décoratifs, l'art et les sciences
Avec une esthétique qui du coup s’éloigne du « pop » vers quelque chose qui se rattache plus à un cabinet de curiosité.
Cette série s’inscrit dans la continuité de celle que j’avais réalisée sur le thème des limules. L’intérieur du personnage ressemble à une planche anatomique : je suis parti du système digestif de la tortue. La tête se nourrit du corps qui la porte. J’aime ce qui se passe à l’intérieur de l’homme, ce qui construit le corps, les fluides qui le traversent, les nerfs qui le sensibilisent. Ca peut paraître étrange, mais j’établis un lien entre les planches anatomiques et la culture populaire. Les livres d’anatomie m’ont attiré et m’attirent encore comme les livres d’images, les contes ou les BD avec des cow-boys, des chevaliers ou des supers héros qui m’attiraient lorsque j’étais enfant.
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Les livres de sciences naturelles sont des livres d’images, comme les albums d’autocollants que l’on collectionnait enfants.
Ce sont aussi des livres où tu vois des personnages singuliers. Je n’ai pas l’impression de m’éloigner autant que ça de la culture et des mythes populaires lorsque je m’en inspire. Le squelette que l’on retrouve dans beaucoup de mes dessins – notamment le tien (Califourchon, NDLR) - est un personnage à part entière, à la façon d’un écorché, d’une dame de pique, d’un chevalier sans tête, d’un Saint-Sébastien ou d’un Surfer d’argent.

Eudes Menichetti, Califourchon, encre sur papier, 65 x 50cm
On passe d’une aventure dans un monde extérieur à une aventure plus intérieure, plus introspective ?
Oui, certainement. Mon travail est avant tout intuitif. Je tâtonne, je cherche, j’expérimente. J’aime m’y mettre à nu et j’aime ce qui construit l’histoire de l’individu : souffrances, angoisses, instincts, rêves et croyances, vieillissement et peur de mourir...
Mon travail actuel parcourt des chemins plus intérieurs. J’y vois deux facettes : une profusion, une abondance qui s’exprime à travers l’utilisation de la feuille d’or, la richesse des matériaux, du métal, et une introversion, à travers des sujets plus tortueux, rempli de nœuds.
Cette aventure introspective fait également face à une réalité physique ! Ca grouille, dans tes tableaux !
Oui, je suis un angoissé et j’ai besoin de dépenses physiques pour évacuer mes frustrations ou mes humeurs. Cette réalité physique se retrouve également dans la fabrication de mes œuvres.

Eudes Menichetti, Pied de nez, aquarelle sur papier, 76 x 56 cm
Qu’est ce qui t’a amené à diversifier tes techniques et à te confronter à la matière ?
J’ai toujours beaucoup travaillé en bricolant, en jouant avec les accidents de réalisation. Au fur et à mesure des années, les techniques se sont sophistiquées, d’une bidouille de papier à une bidouille plus technique. Le changement de matériaux, de supports, me permet également de ne pas m’ennuyer et de ne pas me répéter.
Tu qualifiais le tableau devant lequel nous avons démarré l’interview d’« objet » : quel rapport ton travail - par l’utilisation de ces différents matériaux - peut entretenir avec eux ? C’est un sujet qui m’intéresse à titre personnel : la frontière est parfois tenue entre les arts décoratifs et l’art, tout court.
Je navigue entre de nombreuses expressions artistiques : l’art contemporain, l’art brut, les arts décoratifs, l’artisanat, l’art ancien… Je me nourris de tout. Quand je fabrique un tableau, toutes les choses dont je suis imbibé ressortent, sans idée de frontière ou de hiérarchie. A partir du moment où j’ai une idée, j’essaye d’adapter une technique qui conviendra à ce sujet et qui apportera une autre proposition visuelle. Une pensée m’a récemment animé lors d’un salon des antiquaires. Une série de petits tableaux de Richter sans grand intérêt et valant une fortune (il n’est nullement question de critiquer Richter dont j’apprécie beaucoup la peinture !) côtoyaient des petites boîtes à priser absolument magnifique en argent et or ciselé qui valaient infiniment moins. Sur quoi est fondée la valeur financière et artistique des choses ? J’avoue être parfois un peu sceptique.
Eudes me montre une œuvre qu’il nomme « canne » réalisée avec un agrégat savant de matériaux.

Canne fleur (détail), technique mixte, 93 cm
Cela peut être très beau, un objet. Celui-ci, par exemple, l’est particulièrement. On dirait des concrétions calcaires.
On me demande souvent si c’est un travail de sculpture. Je pense qu’il s’agit plutôt d’un objet.
J’ai réalisé la première à partir d’une canne, d’où leur appellation. Certaines font plus penser à un sceptre, d’autres à une épée ou à un objet de culte, à un bijou gargantuesque. C’est en quelque sorte une continuité de mes tableaux métalliques, comme un détail agrandi, des sortes d’objets insolites, rongés par la mer, presque fossilisés par le temps, vieillis et oxydés par les années. Il y a deux ans, ces cannes ont été présentées au palais de Tokyo dans Double jeu, une expo qui mettait en avant la relation artiste /artisan sous le commissariat de Jean de Loisy.
Tes pas te portent-ils de temps en temps au château d’Ecouen ?
Non, je ne crois pas y être allé.

Wenzel Jamnitzer, Daphné, Nuremberg, vers 1570-1575, Musée national de la Renaissance
Y est abrité un admirable musée de la Renaissance où se trouve notamment conservée la Daphné de Wenzel Jamnitzer. C’est complètement dans l’esprit de ton travail. On ira au printemps avec Hélène (Muheim, la compagne d’Eudes, NDLR), si tu veux. Dans la suite de notre échange sur les objets, es-tu un collectionneur, un chineur ?
Oui, bien sûr ! Je suis matérialiste. Un matérialiste désenchanté !
Matérialiste ou fétichiste ?
Les deux, je crois.
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Les objets te rassurent-ils ?
Oui, j’ai besoin d’être entouré de mes objets. Pour cette raison notamment, il ne me viendrait pas à l’esprit de demander des résidences d’artiste. Je suis bien dans mon atelier et j’ai besoin d’être rassuré pour travailler convenablement. Si un dessin ne me plait pas, j’utilise un autre outil, je change de support, je peux modifier. J’ai besoin de temps et de travail pour faire émerger ce que j’ai en moi.

Eudes Menichetti, Saint-Sébastien(détail), feuille d’or, métal découpé, clous, agrafes... sur bois, 160 x 122 cm
Que collectionnes-tu ?
Ca va te paraître étrange mais j’ai une immense collection de gommes réunies dans une dizaine de boîtes ! J’ai aussi beaucoup collectionné les capsules, les étiquettes de tablettes de chocolat Merveilles du monde, les papiers de Malabar… Et même les emballages de p’tit Louis (fromage à pâte molle enfermé dans une coque NDLR) qui n’ont aucun intérêt. J’étais aussi le roi des albums Panini et plus tard des Pictures Disques.
Eudes exfiltre deux albums Panini antédiluviens d’une bibliothèque remplie de livres et d’objets. Les albums tombent en lambeaux à force d’avoir été lus et relus.
Il y avait une sorte de hiérarchie dans la cour d’école dictée par la taille du paquet d’autocollants !
Les détenteurs d’images rares tenaient le haut du paver ! Je découpais également des images dans les magazines et les collais dans des cahiers. J’ai eu ma période Sylvie Vartan et Jane Birkin.
Quelle formation as-tu suivi ?
Quand j’ai abandonné le tennis, (j’étais trop vieux pour être vraiment bon), je suis allé aux Beaux-Arts de Nîmes dont je suis sorti en 1990. Je n’y ai pas appris grand-chose. L’équipe Support Surface y régnait alors ! Ils étaient plutôt sympas mais ça ne correspondait pas du tout à ce que je voulais exprimer. Je rencontrais souvent Viallat aux puces le dimanche. Il collectionnait des fanzines de son époque et moi des fanzines de la mienne. Il aimait bien mes petites peintures – des portraits de ma mère un peu art brut - mais elles étaient trop éloignées de ce qui était enseigné dans cette école. A l’inverse de ce que promouvait le Mouvement Support-Surface, j’avais envie de raconter des histoires. Aucun prof n’a réussi à me guider dans cette voie. Je le regrette !
Qu’as-tu fait ensuite en sortant des Beaux-Arts ?
Hélène (Muheim NDLR), deux copains et moi avons pris un atelier à Nîmes. J’entretenais un rapport assez simple avec la peinture. Elle me nourrissait, mais percer à Nîmes quand on sort des Beaux-Arts n’est pas chose facile. Des gens suivaient mon travail, je gagnais un peu ma vie, mais nous avons eu besoin de changer d’air; en 97, nous sommes arrivés à Montreuil. La maison était en ruine et j’ai consacré beaucoup de temps et d’énergie à la rénover. C’est peut-être à cette époque que je suis devenu un vrai bricoleur. Comme je suis curieux, ça m’intéressait de savoir comment fabriquer une fenêtre, souder etc…
Eudes me montre la version en métal de Indigeste qui a servi à réaliser le moule de la version en résine.
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C’est un véritable travail d’orfèvrerie.
Oui, d’orfèvrerie, de bijouterie. On dirait presque une broche géante ou une sorte de trophée. Le travail de fabrication est très long, délicat et technique. Il me faut plus d’un mois pour réaliser une pièce comme celle-ci. C’est un patchwork de métaux que je découpe, martèle, grave, clou et assemble. C’est le premier tableau de cette sorte et je suis plutôt satisfait.
C’est particulièrement beau.
J’aurais bien aimé trouver un collectionneur qui achète toute la série Indigeste, exposée en septembre chez Eko Sato mais cela ne s’est pas passé ainsi…
Comment travailles-tu le caoutchouc ?
C’est du caoutchouc industriel vendu en rouleau que je façonne à ma façon. Je peux le graver. Il y en a différentes épaisseurs. J’aime beaucoup ce matériau mais y planter des clous est très long et besogneux.

Eudes Menichetti, Indigeste, clous sur caoutchouc, 160 x 110 cm
Et le papier troué ?
L’idée d’utiliser du papier troué avec de fines aiguilles est arrivée grâce au métal. Je réalisais des dessins sur des feuilles de métal martelées au poinçon. Cela trouait et gaufrait le papier qui me servait de patron - on aurait dit du braille - je trouvais l’idée intéressante. Je m’étais aussi aperçu - en tournant le papier troué vers la fenêtre - que ça créait une vraie dentelle. De là est venue l’idée de le placer dans une boîte lumineuse. J’ai eu un peu peur au départ du coté «gadget» de ce procédé, mais c’était deux propositions tellement différentes de mon dessin que cela ne m’a pas posé de problème.

Eudes Menichetti, Limule (détail), papier troué, 100 x 70 cm
L’évocation du papier est une bonne entrée en matière pour parler de dessin.
Dernièrement, j’ai un peu laissé de côté ma pratique du dessin. Trop de dessin et beaucoup de choses se ressemblent dans les expos, j’en ai un peu marre de trainer dans les galeries.
Il y a effectivement des modes et des procédés – pas forcément inintéressants d’ailleurs – qui envahissent le marché. Tu dessinais pourtant beaucoup. C’est dommage !
Oui, j’ai toujours dessiné. Quand je suis entré aux Beaux-Arts, je voulais faire de la bande dessinée. Mon idée était même de présenter l’école d’Angoulême.
Le dessin était au départ associé à la bande dessinée, au fanzine ?
Oui, c’était moins intimidant que l’Art, surtout quand on a une vingtaine d’année et il y a une association plus directe avec la culture populaire. Le dessin demandait moins de technique que la peinture. On pouvait raturer, gommer, reprendre une feuille, recommencer … Il y avait une facilité d’expression qui me plaisait, quelque chose de plus spontané.
Pourquoi avoir finalement choisi une autre voie que la bande dessinée ?
A l’époque, je ne connaissais pas encore les maisons d’édition comme L’Association et la BD underground, souvent autobiographique, était méconnue en France. Je ne me projetais pas dans ce marché de l’édition qui me semblait fortement contraindre la narration. J’aimais créer des œuvres uniques, utiliser différentes techniques et raconter des histoires personnelles.
Réflexion faite, ne pratiquer que le dessin et s’atteler à dessiner les mêmes personnages sous divers angles ne me conviendrait pas du tout. Je m’y serai ennuyé, et je n’y serai pas arrivé.

Eudes Menichetti, Norrin Radd, pierre noire, feutre sur papier, 150 x 100 cm
Je vois le Surfer d’argent représenté un peu partout dans ton atelier.
Je lisais les Marvels, mais aussi Blueberry, Valérian, Tardi, Reiser, les Freak Brothers ou Corto Maltese… Mes parents achetaient pas mal de bande dessinée et ça a constitué une part de ma culture dans ce domaine. Une culture éclectique, marginale, subversive mais romantique, d’où la représentation du surfer d’argent. C’est un héros particulier, très tourmenté, inspiré de Tristan et Yseult. Le mythe de Faust revisité. C’est Christian Laune de la galerie montpelliéraine Les Chantiers Boîte noire qui m’a poussé à l’insérer dans une série, connaissant mon intérêt pour ce héros. C’est la première fois que j’ai eu l’idée d’assimiler le caoutchouc avec ces milliers de clous.
Tu lis toujours de la bande dessinée ?
Maintenant beaucoup moins, mais il y a plein de choses très intéressantes. Les mangas, dont les narrations assez complexes me rappellent les séries télévisées que l’on peut voir aujourd’hui. Toute la bande dessinée underground américaine m’a également passionné.

Charles Burns, Black hole
Charles Burns, notamment, dont les bandes-dessinées ont, je trouve, une correspondance avec ton travail …
Je n’y avais pas pensé, mais Black Hole est un chef d’œuvre qui m’a beaucoup marqué. J’aime aussi beaucoup Winschluss, Chris Ware, et Crumb bien-sûr.
Beaucoup de tes dessins sont en noir et blanc.
J’ai aussi fait beaucoup d’aquarelles. Tu ne te souviens pas de la série d’autoportraits que j’avais réalisée en 2007 ?

Eudes Menichetti, Une année 2007, aquarelle sur papier, 2007
Bien sûr, je m’en souviens ! J’aime beaucoup cette série. Une question me taraude : les gens ont-ils acheté la tête d’Eudes Menichetti ?
Il fallait acheter la série de douze et c’est le FRAC Languedoc Roussillon qui l’a acquise. J’aime beaucoup cette série. J’y suis particulièrement attaché, elle est vraiment autobiographique et j’ai eu du mal à m’en séparer. J’avais toujours dit que j’en dessinerais une autre dix ans plus tard. Nous y sommes ! Pour l’instant je n’ai écrit que les textes. Les dessins sont dans ma tête, la feuille est blanche, mais je vais m’y mettre.
A l’aquarelle ?
Je ne sais pas, je ne veux pas refaire exactement pareil. J’aimerais bien quelque chose de plus spontanée, on verra… peut être un peu comme les petits portraits que je fais en peinture. J’ai un attachement particulier pour les portraits dans l’histoire de l’art.

Cranach l'Ancien, Judith et Holopherne, vers 1530, Kunsthistorisches Museum, Vienne
D’un peintre en particulier ?
Tout l’art flamand ! Cranach, Vermeer, Van Eyck, etc… La peinture espagnole avec Zurbaran ou Italienne. J’adore tout particulièrement le portrait d’une vierge d’Antonello di Messina que j’ai vu dans un musée à Palerme. Je suis tombé amoureux de ce tableau, de sa délicatesse, de son raffinement. J’aime l’aspect figé de cette peinture, très lisse, faite de superposition de couches de glacis.

Antonello de Messine, Vierge de l'Annonciation, tempera et huile sur bois, vers 1475, Galleria Regionale della Sicilia, Palerme
Je reviens à ton travail : on y trouve surtout des personnages.
Oui, il n’y a pas de paysage.
On pourrait dire les choses autrement. Il y a beaucoup de paysages mais ils sont intérieurs.
C’est vrai. Il y a beaucoup de végétal dans les corps que je représente : les racines se mélangent aux synapses, les branches avec les veines, la sève procure l’énergie, les strates de la peau s’apparentent aux couches de la terre et la consistance de l’os ressemble à la géologie.
Tout cet univers organique est un véritable monde végétal qui grouille, se décompose et se recompose. C’est l’histoire de l’homme en général, une sorte de paysage biologique, et génétique, passionnant et irrationnel. J’essaye de travailler et de vivre avec ça.

Eudes Menichetti, Masqué, encre de chine sur papier, 65 x50 cm
A plein d’égards, ton travail est une œuvre de racines, inscrite dans une histoire. Mais que cela ne nous empêche pas de parler d’avenir : quels sont tes projets ?
Aucun. Je suis complètement déprimé. Non je plaisante ! J’ai plein de projets : retrouver Hélène en Inde - mais j’ai grillé tous mes points voyage avec elle - faire le tour du Cervin en ski de rando avec Kim et Manu, passer le Jesus Walk en Kite, lire A la recherche du temps perdu que je n’ai toujours pas lu, traverser le Grand canyon à cheval, taper quelques balles avec Roger (à prononcer à l’anglo-saxonne ! NDLR), être acheté par Beaubourg, exposer à la Galerie Hors-champs en mars et ça c’est plutôt sur bonne voie ! Je te tiens au courant de toute façon…