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Jacques Desse, Le grand imagier


Il faudrait avoir cent vies pour découvrir toutes les merveilles iconographiques créées par l'homme. Jacques Desse y a dédié la sienne, déployant son inlassable curiosité à la recherche de trésors cachés des arts du livre et de l'illustration. Pour aller à sa rencontre, je l'ai rejoint dans le quartier parisien de la Goutte d'or, où avec ses associés Alban Caussé et Thibaut Brunessaux, il a ouvert au 3 rue Pierre L'Ermite une très belle galerie-librairie de livres anciens. Indéfectible défenseur des arts populaires, je lui aurais bien cédé ma robe d'avocat pour exprimer son plaidoyer en faveur de ces oubliés de l'histoire de l'art, mais je suis déjà tout acquise à sa cause...



Photo de Christian Koopmans



Comment es-tu devenu libraire de livres anciens ?


Ma mère avait un grand dépôt-vente de brocante à Bayonne. J’étais passionné de lecture et m’y occupais souvent des livres. Pourtant, ma première vie professionnelle ne leur a pas été consacrée : pendant une quinzaine d’années, j’ai travaillé comme petit fonctionnaire dans les services du Premier Ministre. Après ma démission, j’ai commencé à chiner des livres aux puces et sur les brocantes puis à les revendre à des libraires de Saint-Germain-des-Prés. Les bouquinistes et libraires d’ancien sont souvent au départ des passionnés de lecture qui ont financé leur passion en revendant des livres. Je dévorais trois livres par semaine et en achetais dix : en revendre était dicté par une forme de nécessité ! Internet n’existait pas alors et cela fonctionnait bien. On m’a proposé de tenir une librairie aux puces de Saint Ouen et mon compagnon Thibaut (Brunessaux), qui s’est également pris au jeu, s’est installé au marché Dauphine pour vendre des livres animés. Progressivement, nous sommes devenus indépendants et avons créé deux structures : la principale - Les Libraires associés - et la Boutique du livre animé. Nous étions les seuls à l’époque à faire connaître ce domaine !



Tu m’as indiqué être passionné de lecture. À quel moment, l’image a-t-elle commencé à prendre place dans ton parcours de libraire ?


Être lecteur de Bourdieu ou de Foucault ne me destinait pas vraiment à m’intéresser aux livres d’enfants et aux images de façon plus générale, même si j’ai eu la chance d’être élève d’esprits très sensibles comme Michel de Certeau et Louis Marin. Je n'avais pas eu le privilège d’avoir été nourri dans mon enfance par l’École des loisirs ou Le Père Castor. Ce sont des choses que j’ai découvertes une fois adulte, avec un œil neuf et étonné. Un libraire de livres anciens voit défiler de très nombreux ouvrages dans des domaines qu’il ne connaît pas toujours. C’était le cas des livres pour enfants. Le domaine de l’enfantina était riche, intéressant et peu connu. Il y avait de nombreuses enquêtes à mener.


Détail d'une image de Boris Zworykine pour Le Coq d'Or de Pouchkine, publié par Piazza en 1925.


Il faut avoir un œil pour distinguer une bonne image des centaines de millions déjà produites !


Il faut une culture de l’image, c’est-à-dire des repères, des références ou plus simplement une expérience… Même si l’image est devenue reine et dictatrice de nos vies, elle reste souvent dévalorisée par rapport au texte. Malheureusement, le statut social de l’image détermine sa lecture et son appréciation. Combien d’amateurs d’art sincères s’extasient devant un tableau dans un musée mais ne portent pas le moindre regard sur un livre modeste présentant pourtant une valeur artistique ! Dans certaines illustrations, il y a une force, une inventivité qui va bien au-delà du travail de nombreux artistes consacrés. Dans le monde de la librairie ancienne, un mot tient une place importante : « curieux ». Un livre curieux est un livre dont la singularité interpelle le libraire ou le bibliophile. Un vrai libraire de livres anciens est un curieux de livres curieux ; cette curiosité s’est pour moi nourrie d’une rencontre avec un certain type de livres curieux : les livres pour enfants, illustrés, animés et plus généralement l’art du livre que l’on connaît si peu.




Ton métier te donne accès à des livres extraordinaires couvrant une très large période d’avant Gutenberg à nos jours.


Pour nous, l’ancienneté et la valeur ne sont en aucun cas un critère déterminant. Dans notre librairie, un livre à dix euros publié il y a dix ans peut côtoyer un incunable de grande valeur. Nous n’établissons pas de hiérarchie, même s’il est bien sûr très émouvant d’avoir un livre âgé de cinq cents ans entre les mains. La découverte au fil des années des merveilles de la typographie, de la mise en page, des procédés de mise en couleurs ou encore de la reliure est toujours très stimulante !



A gauche, Alphabet Lapidaire Monstre imprimé en chromolithographie, extrait de Ecritures Anciennes de Jean Midolle, Strasbourg, 1835. A droite, image de John Alcorn dans Murray McCain’s Books!, 1962.

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L’apprentissage de l’histoire de l’art se limite généralement aux arts majeurs dont les artistes relevant des arts graphiques sont pour la plupart exclus. La notion même d’illustration porte en elle les germes de cette marginalisation : elle doit servir un propos, sans existence propre.


Historiquement et structurellement, l’illustration est un art d’exécution et il fut une époque pas si lointaine où les illustrateurs ne possédaient aucun statut. Leur nom n’était pas connu, leurs images allègrement volées, recopiées. Cette situation demeure dans une moindre mesure à notre époque. L’illustration n’a pas la noblesse de l’art contemporain ni même du street art, alors que bien sûr, comme dans toute expression artistique humaine, elle connaît des génies, des perles.



Des génies et des médiocres comme dans toute forme artistique, ce que les institutions peinent à reconnaître à quelques exceptions près.


Les institutions qui s’intéressent à l’illustration sont infimes et marginales. Cet art ne bénéficie d’aucune attention des pouvoirs publics. Il est plus rentable socialement et financièrement de prendre un pot de fleur, décréter que c’est une machine à coudre et le vendre une fortune que passer sa vie à créer des livres sublimes !



À quelques exceptions près comme Sempé ou Ungerer qui sont eux-mêmes devenus des institutions. Combien de très grands artistes français oubliés !


Parmi les meilleurs artistes français du 20ème siècle, figurent Roland Topor et André François. Mais qui connaît André François en dehors du petit milieu des amateurs d’illustrations ? Il devrait pourtant avoir sa place à Beaubourg !



Dessin d'André François réalisé pour la revue Punch, 1953


Oui, d’autant plus que son travail se rapproche beaucoup de la peinture. Son œuvre est très picturale.


Oui et ce n’est même pas de l’illustration au sens narratif. Avec ou sans texte, il a créé une œuvre !


Campagne de publicité pour la DS de Citroën, par André François, 1963.

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Comment expliquer cela ? Il y a un centre André François tout de même…


En effet, grâce à Janine Kotwica. D’autres centres de ce type existent, comme la Médiathèque du Père Castor, le Centre de l’illustration, le Musée de l'Illustration Jeunesse à Moulins et le Musée Tomi Ungerer à Strasbourg, mais ces initiatives restent très marginales. Je pense que tout ça vient d’une forme de « racisme social ». L’illustration est considérée comme un art populaire et à ce titre négligée.




Et pourtant, des formes d’art comme le street art, d’essence elles aussi populaire ont complètement envahi le marché.


Oui, c’est devenu un art officiel promu par des personnalités et institutions du monde politique, financier et médiatique. Ce qui à mon avis suggère que ce n’est pas un art subversif (dans sa globalité, je ne parle pas des individus). Comme la pop et le rap, il est devenu une des expressions de la société du spectacle et de l’industrie de l’entertainment. À ce titre, l’illustration, même quand elle s’exprime dans la publicité, est moins poreuse au conformisme que ces arts supposés rebelles.



Les racines de cet ostracisme ne sont-elles pas très anciennes et en grande partie liées à l’histoire de la discipline ?


Oui, tout à fait ! L’art de l’illustration – au sens de la publication d’une image qui s’intègre dans un livre ou un journal - est assez récent, parce que les procédés de reproduction de masse sont eux-mêmes récents. Les illustrateurs étaient, comme on le disait tout à l’heure, des anonymes, des ouvriers, un chaînon de la fabrication des livres et de la presse. Ce péché originel d’un prolétariat de l’art marque encore les illustrateurs aujourd’hui. De la même façon, les livres pour enfant étaient perçus comme un genre mineur et, même s’il a beaucoup évolué depuis lors, ils conservent ce statut, de manière latente. Quand on parle de « bouquins pour les gosses », cela veut tout dire, hélas…



Les pays anglo-saxons semblent moins obtus. Ces pays sont-ils plus ouverts aux arts populaires et donc moins académiques dans leur façon d’aborder les arts ?


Une forme d’ostracisme existe aussi, mais de manière beaucoup moins forte qu’en France. Dans les pays protestants, le livre pour enfant n’a pas été aussi peu considéré que dans les pays latins pour des raisons complexes qui tiennent à différents facteurs comme la religion, l’économie… Tu as évoqué un mot important : « art populaire ». L’illustration vient autant de l’art populaire que de l'art savant des miniaturistes du Moyen âge qui a disparu depuis longtemps. Et ce qui est populaire, quoi qu’on en dise, est perçu via le prisme de préjugés de classe. Les illustrateurs d’aujourd’hui sont les héritiers des anonymes graveurs d’images du Moyen Age...



Le grant calendrier et compost des bergiers, édité à Paris entre 1512 et 1519 par la veuve de Jehant Trepperel et Jehant Jehannot. Composé de nombreuses gravures sur bois.

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À partir de quand émergent des noms d’illustrateurs connus du grand public ?


Tout dépend du critère que l’on retient. Daumier et Doré étaient des stars. Plus tard, Benjamin Rabier était très populaire et, avec le mouvement Arts and crafts, les rénovateurs anglais de l’art de l’illustrationde la fin du XIXe siècle avaient beaucoup de succès. Il n’y a pas de début absolu d’une certaine reconnaissance de l’illustration et l’histoire de l’illustration, surtout en France, est encore largement inconnue. Du fait de son statut marginal, elle a assez peu été étudiée.



Elle se confond aussi peut-être en-deçà d’une certaine époque avec l’histoire de la gravure ?


Oui, mais il y a là aussi une distinction à établir entre une gravure noble, souvent réalisée d’après des tableaux et dessins d’artistes célèbres, et une gravure illustrative. Les graveurs du 18ème siècle tels que Cochin, étaient des gens importants, riches et fameux, bien qu’aujourd’hui un peu tombés dans l’oubli. En revanche, le nom des artisans qui travaillaient dans les ateliers d’imagerie de la rue Saint-Jacques reste inconnu. Finalement, la seule chose que l’on peut avancer, intuitivement, c’est que les illustrateurs accèdent à une certaine reconnaissance dans la seconde moitié du 20ème siècle.



Date à partir de laquelle les auteurs ont enfin été plus systématiquement crédités !


Oui, tu as raison. Dans les livres plus anciens, le nom de l’illustrateur n’est pas souvent mentionné sur la couverture, il est même fréquent qu’il soit complètement absent.



C’était la même chose dans la presse. Dans un autre registre, je pense à l’instant aux livres techniques qui omettaient systématiquement de mentionner le nom des auteurs de schémas et autres représentations pourtant souvent de toute beauté et inventivité.


Dans le dernier catalogue de la librairie, nous proposions un petit manuel de mécanique de 1890, en apparence sans intérêt esthétique mais avec de beaux graphiques. Or, ces croquis ont inspiré Picabia pour des œuvres Dada d’avant-garde publiées dans 291 et 391



Revue 391 et 507 mouvements mécaniques de Henry T. Brown

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Aujourd’hui, les auteurs-illustrateurs sont crédités, j’imagine grâce à l’évolution du droit d’auteur qui protège les artistes en leur conférant notamment un droit de paternité sur leur œuvre.


Oui, leur statut a évolué même s’ils restent encore lourdement handicapés par un passé de clandestinité !



La distinction binaire entre les arts majeurs réalisés par des artistes créateurs et les arts mineurs assimilés à un art d’exécution semble heureusement plus floue aujourd’hui. La superbe exposition Fendre l'air qui s’est tenue au musée du quai Branly sur des vanneries japonaises en est un bon exemple. Pour une fois, des acteurs de l’art contemporain ont reconnu aux artisans la possibilité d’accéder au statut d’artiste. Il n’est toutefois pas inintéressant d’observer que cette reconnaissance s’est faite à l’endroit d’un art d’ailleurs, japonais en l’occurrence.


En effet, une certaine reconnaissance officielle des arts populaires se fait par les arts d'autres continents. En revanche, on a démantelé le Musée des arts et traditions populaires qui conservait un patrimoine d’une richesse extraordinaire, qui aurait pu être mille fois valorisé ! Ces collections sont aujourd’hui en jachère.



Ce sont aussi des questions de mode. Les institutions n’ont pas pour habitude de faire des pas de côté.


On peut rêver qu’un jour des musées français se mettent à rechercher frénétiquement l’imagerie populaire française… À moins que les institutions américaines ne s’y soient intéressées avant et en aient acheté par containers entiers ! Des choses évoluent, mais c’est souvent lié à des franc-tireurs, comme André Jammes, qui, après avoir contribué à exhumer les pionniers de la photographie, a fait connaître ces dernières années les merveilles d’un art populaire et utilitaire par excellence, le papier dominoté.



Cette place secondaire attribuée aux illustrateurs influence-t-elle leur créativité ?


Ils sont pris dans un double mouvement : d’un côté, l’immense liberté que confère le fait de ne pas relever d’un art consacré et de l’autre, une soumission aux contraintes de la commande qui restreignent la liberté d’expression de l’artiste. Mais tout dépend du contexte. J’aime citer l’exemple de la formidable école d’illustration qui s’est développée dans les pays de l’est – Tchécoslovaquie, Pologne, Yougoslavie, pays baltes… - dans les années 60-70. C’était le seul espace de liberté pour les artistes, qui ont massivement investi les domaines de l’affiche, du livre jeunesse… Il est probable que les arts plastiques de ces pays dans cette période ne laisseront pas de trace dans l’histoire, contrairement à leurs arts graphiques. L’art n’est pas toujours là où on croit le voir…



André Hellé, Films pour les tout-petits, Librairie Garnier, 1924.

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Bien sûr et tu ne mets d’ailleurs aucune limite dans l’appréhension des formes artistiques de l’image.


Effectivement, j’ai une passion pour l’image sous toutes ses formes, sauf un domaine qui personnellement ne me touche pas ou plus : la bande dessinée. La découverte d’illustrateurs comme Lucien Laforge et André Hellé a compté dans ma vie, au même titre que celle de Pascal Doury ou Blexbolex. Je suis en revanche incapable de te citer le nom d’un auteur de bande dessinée qui aurait produit sur moi le même effet (même si certains sont formidables, évidemment). J’aime beaucoup la naïveté de l’art populaire et de l’illustration jeunesse, dans laquelle je vois une forme de franchise et de profondeur. On y parle à un coin de l’âme souvent négligé. La BD ne provoque pas cela chez moi.



Il y a une poésie dans les livres d’enfant, une ouverture vers d’autres mondes qui est assez unique.


Je vais plus loin : cela parle à des régions de mon cerveau peu stimulées par d’autres formes artistiques, même si les avant-gardes du début du 20ème siècle ont voulu s’y aventurer. Ce sentiment n’est pas régressif, au contraire. Il n’y a nulle nostalgie là-dedans.


Blexbolex, Lettre de l'Arrière-Pays, tiré en sérigraphie par l'atelier Co-Op, 35 x 25 cm, 2018



Parlons maintenant des livres d’image pour les adultes. Ils ont occupé une place importante dans la production bibliophilique avant de tomber en désuétude, peut-être au profit de la bande dessinée.


Ce repli s’explique sans doute par l’émergence de la bande dessinée, des phénomènes de mode plus favorables à la photographie (paradoxalement, l’avènement du règne de l’image a refoulé un certain type d’images), mais aussi, c’est une évidence, par un recul de la liberté d’expression. Parmi les meilleures illustrations pour adulte, figurent notamment les livres illustrés érotiques. L’âge d’or de cette imagerie s’est exprimé dans l’entre-deux-guerres sans jamais avoir véritablement réémergé depuis, à quelques exceptions près. D’innombrables grands artistes s’adonnaient alors aux dessins érotiques. J’aime aussi rappeler que l’on trouve parmi les meilleurs illustrateurs de curiosa, de nombreux artistes du livre jeunesse. Rojankovski, Ungerer ou Nicole Claveloux ne voient aucune contradiction à peindre une scène extrêmement crue et des livres qui vont séduire des générations d’enfants.



Diverses oeuvres de Rojankovski, dit Rojan.

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La question est évidemment réductrice mais pourrais-tu me citer quelques livres qui ont marqué ta vie de libraire ?


Pour nous, le livre le plus passionnant est celui que l’on va découvrir demain, pas celui que l’on a déjà « digéré ». En revanche, mon intérêt pour les livres animés m’a fait connaître une quantité d’artistes très intéressants, dont deux monstres que j’aimerais te citer : Lothar Meggendorfer au 19ème siècle et Vojtech Kubasta au 20ème, deux génies de l’illustration et de l’art du livre qui ont renouvelé la manière d’animer les pages avec très grande inventivité et talent. Voilà des artistes qui ont marqué l’histoire du livre imprimé et qui devraient être célèbres ! Leur influence culturelle est aussi importante que celle d’artistes connus de tous. Cela reste malheureusement le privilège de quelques passionnés de pouvoir découvrir de telles œuvres négligées.


Ne sont-ils pas réédités ?


Il y a des rééditions de plus ou moins grande qualité, parfois même sans leur nom. Les livres pour enfants anciens sont souvent très actuels, à tel point que de plus en plus souvent la date initiale de publication n’est même pas mentionnée. Cette passion pour la nouveauté et l’instantanéité, qui élimine contexte et histoire, me chagrine et m’inquiète.




Présentation du cirque en relief (1887) de Lothar Meggendorfer par Derick Dreher, directeur de The Rosenbach à Philadelphie



Évoquer l’inégale qualité des rééditions me conduit à parler de l’impression. Les techniques ont beaucoup évolué et offrent aujourd’hui d’immenses possibilités.


Avec la Seconde guerre mondiale, un extraordinaire art du livre s’est perdu - pochoir, illustration en lithographie, etc. – au profit d’une reproduction offset de mauvaise qualité. Même des livres d’éditeurs parmi les plus admirables des années 60-70, comme Delpire ou Harlin Quist, sont horriblement mal imprimés. Quel choc quand on voit les originaux de C’est le bouquet d’Alain Le Foll ! Heureusement, depuis les années 2000, on constate un net progrès des techniques et un retour au livre bien imprimé sur un beau papier avec des couleurs bien choisies, bien reproduites… Certains éditeurs comme Memo sont moteurs dans cette démarche.



Il y a aussi des productions artisanales de très grande qualité à découvrir dans les salons de multiples, type MAD (Multiples Art Days) ou les festivals de fanzines. Comment expliquer ce phénomène ? Il y a un paradoxe à ce qu’à l’ère du tout numérique, on revienne à des techniques manuelles telles que la sérigraphie par exemple.


De la même façon que l’on a vu le livre animé réapparaître au moment de l’émergence d’internet et du numérique. C’est intéressant. Mon hypothèse est qu’avec l’arrivée massive du numérique est né un besoin parallèle de revenir à des choses simples. L’œuvre d’art à l’ère de sa diffusion dématérialisée pourrait susciter une envie inverse, entre autres de livres dont l’essentiel n’est pas reproductible sur écran, par exemple les livres tactiles, comme les pop-ups, qui suscitent l’émerveillement, la surprise… Mais pour pouvoir être touché par ces arts modestes, il faut jouer le jeu : par exemple ouvrir un livre pour enfant et ne pas s’interdire d’être séduit et de pousser un cri du cœur !



Tes associés et toi réalisez également un travail éditorial de premier plan sur des auteurs, des éditeurs comme Harlin Quist que tu évoquais tout à l'heure… Qu’est-ce qui motive ces recherches ?


Nous avons publié quelques livres et entrepris des travaux de recherches assez considérables sur des illustrateurs, éditeurs, types de livres… C’est la passion et l’envie de faire découvrir et partager qui nous motive. Quand on a présenté notre exposition de livres animés en 2002, il n’existait rien. Personne ne savait ce qu’était l’histoire de ces livres, quelle en était l’origine… Quelques travaux avaient seulement été publiés dans les pays anglo-saxons et une petite étude en France, en 1968.



Les télémorphoses de Alala, dessin Nicole Claveloux, texte Guy Mourreal, Editions Harlin Quist, 1970



C’est un impressionnant travail de collecte et de mémoire !


Oui, c’est le cœur de notre métier, nous sommes des passeurs : nous retrouvons des objets culturels plus ou moins oubliés, nous tâchons de retracer leur histoire, de leur redonner leur identité, et nous transmettons le tout. Le problème est que désormais ce domaine intéresse peu de monde, peu d’institutions, et que la vente en ligne, de plus en plus prédominante, est à l’exact opposé de cet aspect du métier. Le libraire d’ancien était un sorte de conservateur de musée ; s'il veut gagner sa vie aujourd’hui, il doit devenir gérant de supermarché. Dans l’immédiat, à mon grand désespoir, ce travail n’est plus d’actualité pour nous.



Vous n’êtes en lien avec aucune institution ?


On travaille beaucoup avec certaines institutions comme la médiathèque Sagan à Paris, mais elles sont rares et leurs moyens sont faibles et en baisse permanente. Elles sont aussi, comme tout le monde, de plus en plus soumises à une exigence de « rentabilité », par exemple en nombre de visiteurs, et ont de moins en moins la possibilité de faire un travail de fond. Les grandes institutions pourvues de crédits substantiels ne portent aucun intérêt à l’illustration, en général.



Quelle est la part, dans ta librairie, de la vente des livres d’enfant ?


En nombre ou en chiffre d’affaires ? On en vend beaucoup mais les prix sont modestes et cette activité relève plus d’une danseuse, que d’un commerce rentable…



Quelle est, enfin, l’actualité de la librairie ?


Pour la 12ème année consécutive, nous organisons samedi 26 octobre le Salon du livre animé, au cours duquel des artistes viennent présenter leurs livres. Cette année nous avons la grande chance d'être invités au Carreau du Temple. Comme chaque année, nous serons aussi présents au Salon de Montreuil à l’invitation du SLPJ qui nous réserve un espace, belle initiative proposée par Christian Bruel puis suivie depuis lors. C’est un vrai plaisir de voir petits et grands découvrir de merveilleux livres anciens !


Exposition de livres animés de Kubasta à la galerie des Libraires associés

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