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Henri Galeron, Fabuleux Mage Image





Henri Galeron a un don, dont je ne le remercierai jamais assez, tant j'en ai bénéficié enfant : celui d'imaginer des couvertures de livres si belles, poétiques et pleines de sens que l'on a instantanément envie de lire les histoires qu'elles abritent. Le parcours foisonnant de ce dessinateur hors pair est loin de se résumer à ce travail et il me fallait le rencontrer, tant pour exprimer ma gratitude d'avoir ainsi contribué à mon amour des livres que pour découvrir les détails d'une carrière prolifique, riche de plus de cinquante ans dans les domaines de la presse et de l'édition.




Vous avez étudié aux Beaux–Arts de Marseille à la fin des années 50. Comment passe-t-on de cet apprentissage au monde des livres ?


L’enseignement dispensé ne préparait pas à l’illustration, mais mon souhait était déjà de travailler dans l’édition. Pour mon diplôme, j’ai présenté un livre sur ma région, la Camargue, dans lequel j’avais illustré divers textes. A l’époque, mon style était très différent. Avec des encres typographiques colorées diluées dans l’eau, je dessinais des chevaux, des flamands… L’univers mouvant des encres me faisait penser aux étangs de Camargue. La différence de composition chimique des couleurs donnait des réactions intéressantes avec lesquelles, muni d’un quelconque outil, je pouvais jouer aléatoirement. Les techniques étaient proches de celles des impressions à la cuve utilisées dans la reliure.



Vous avez grandi dans une famille d’artisans. Qu’est-ce que votre père, tailleur de pierre vous avait transmis avant d’entrer aux Beaux-Arts ?


Il m’a donné le goût du travail bien fait ! Ses frères et lui avaient appris le métier de la taille de pierre auprès de compagnons du devoir. Je revois encore l’un de mes oncles tailler avec soin les lettres des épitaphes sur des plaques de marbres, inciser la pierre et souffler un petit coup pour enlever la poussière. Ce n’était pas des gens faciles mais très dévoués à leur tâche. Mon père me voyant dessiner m’a proposé de travailler dans l’entreprise familiale ou d’aller aux Beaux-Arts. J’ai choisi les beaux-Arts…


Couverture du Pont de Londres pour la collection Folio créée par Massin, 1978



Après les Beaux-Arts de Marseille, vous avez commencé à travailler dans l’édition ?


Quand je suis entré aux Beaux-Arts en 1956, les étudiants passaient d’abord un « CAFAS » (certificat d’aptitude à une formation artistique supérieure) au terme de trois années d’enseignement, puis le diplôme national des Beaux-Arts après deux années supplémentaires. Je souhaitais venir à Paris à la suite de mon premier diplôme pour travailler dans l’édition mais le spectre du service militaire en pleine guerre d’Algérie m’a conduit à poursuivre mes études à Marseille. J’ai passé la dernière épreuve en 1962, l’année des accords d’Evian et y ai finalement échappé. Jusqu’en 1967, j’ai travaillé quelques années à Marseille dans une petite maison d’édition et de publicité où j’ai appris le métier de maquettiste.



Vous avez donc commencé à apprendre l’art de la mise en page. Vous ne vous étiez pas encore essayé à l’illustration à l’époque…


Non, je n’avais alors jamais pratiqué le métier d’illustrateur. Arrivé à Paris, j’ai d’abord travaillé six-sept ans comme salarié aux éditions Nathan dans un département qui fabriquait des jeux éducatifs. J’y ai dessiné quantité de plans et boîtes de jeux ! Au bout de quelques années, on m’a nommé chef de studio, qui était alors l’équivalent d’un directeur artistique. Pour mettre en page des notices, créer des boites de jeux… nous étions une équipe de neuf !



Revendiquez-vous certaines de ces créations ?


A part deux ou trois jeux dont j’ai apporté l’idée, non pas du tout. En revanche, quand je me suis lancé comme illustrateur indépendant, j’ai continué à réaliser des jeux pour Nathan avec une grande liberté.

Domino des coccinnelles, Nathan, 1968



J’ai cru entrevoir tout à l’heure le domino des coccinelles, un jeu au très beau graphisme dont j’étais familière enfant. C’est vous qui l’avez réalisé ?


Oui ! Vous avez joué avec ça ? Henri Galeron sourit avec amusement.



Oui, bien sûr ! J’ignorais tout à fait que vous en étiez l’auteur ! Je l’ai récemment revu dans une brocante et ai cherché partout qui pouvait l’avoir dessiné. Vous n’êtes pas crédité sur la boîte ?


Je l’ai réalisé lorsque j’étais encore chez Nathan et n’ai donc pas été crédité. C’est très dommage de ne pas l’avoir proposé une fois à mon compte ! Ce jeu s’est très bien vendu !



Le graphisme de ce jeu est toujours très actuel. Fait-il parti de ceux dont vous revendiquez la paternité ?


Oui, bien sûr ! Henri Galeron me désigne un petit monogramme en bas à gauche d’une des coccinelles reproduites sur la boîte de jeu. Regardez, je n’ai certes pas été crédité, mais j’ai malgré tout glissé mes initiales sur le dessin !


Henri Galeron ouvre une armoire remplie de livres et de jeux.


Vous pouvez apercevoir un jeu de l’oie ainsi qu’un jeu de dada que j’aime aussi beaucoup.


Jeu de l'oie conçu pour Nathan, années 70



Je connais aussi ce jeu de l’oie ! Avec les petites oies en guise de pions. Quand avez-vous commencé à illustrer des livres ?


J’ai dessiné quelques livres lorsque je travaillais chez Nathan mais sans style personnel, à la manière des peintures naïves de Christine Chagnoux. Mes premiers vrais livres sont sortis en 1973 chez Harlin Quist et aux éditions Grasset, dont le département jeunesse était alors dirigé par François Ruy-Vidal.



Harlin Quist était un éditeur doté d’un parti pris éditorial, graphique et artistique extrêmement intéressant. Que pouvez-vous dire de cette rencontre ?


Une génération d’illustrateurs – mon grand ami Patrick Couratin, Jacques Rozier, Monique Gaudriault ou encore Guy Billout - a découvert son travail par le magazine Graphis, une revue suisse de référence à laquelle j’avais fait abonner le service des jeux éducatifs de Nathan. Le numéro 131 de 1967 lui avait consacré un article qui était une véritable profession de foi sur son métier d’éditeur de livres pour enfants. Il publiait alors des auteurs comme Etienne Delessert, Eleonore Schmid, Rick Shreiter, Stanley Mack… Cela nous a donné l’envie de le rencontrer. Sur la quatrième de couverture du magazine, une publicité mentionnait une adresse, le 54 rue de Montreuil à Paris. Chacun de notre côté, sans nous connaître à l’époque, nous avons tenté de joindre l’éditeur, sans comprendre qu’il s’agissait d’une simple boite postale ! Harlin Quist était américain et vivait aux Etats-Unis !


Comment l’avez-vous finalement rencontré ?


Encore salarié chez Nathan, j’ai contacté François Ruy-Vidal avec qui Harlin Quist était alors associé. Ruy-Vidal m’a confié quelques illustrations à dessiner pour des ouvrages collectifs publiés par leur maison d’édition et il lui a montré mes dessins. Il m’a ensuite conseillé de le rencontrer à la foire de Frankfort où il était de passage. C’est à cette occasion qu’Harlin Quist m’a confié l’illustration d’un texte de Kaye Saari, Le Kidnapping de la cafetière. Quelle joie !


Couverture du Kidnapping de la cafetière publié chez Harlin Quist en 1974



Vous m’avez indiqué avoir publié La dompteuse et le musicien et Moa, Toa, Loa et leur cousin Tagada à la même époque chez Grasset…


Une fois séparé d’Harlin Quist, François Ruy-Vidal a rejoint les éditions Grasset et m’a proposé de réaliser un livre sur un sujet de mon choix. J’avais très envie d’aborder le thème du cirque et ai dessiné des clowns, des trapézistes, des écuyères… A la demande de Ruy-Vidal, Guy Monréal, un auteur qui écrivait alors beaucoup dans les magazines, a imaginé des textes sur mes dessins. J’avoue ne pas avoir été très satisfait du résultat. Ses textes se cantonnaient à une description de mes images, écueil dans lequel j’essaie de ne pas tomber quand je dois illustrer un texte !

Le terme « illustration » est ambigu et semble suggérer une soumission de l’image au texte. Vos dessins sont tout sauf cela !


J’essaie de raconter autre chose à partir de ce qui est dit. J’illustre ce que peut m’évoquer le texte. Mon approche n’est jamais littérale.



Combien de temps a duré votre collaboration avec Harlin Quist ?


Nous avons réalisé plusieurs livres ensemble. J’ai illustré Ca n’a pas d’importance, d’Alain Diot qui fait partie d’une collection de poche créée par Harlin Quist sur le modèle des Penguin books anglais dont le principe n’existait pas encore en France. Il y a eu ensuite Moka, Mollie, Max et moi, puis Quand dont je suis l’auteur et pas seulement l’illustrateur, dans la collection des petits livres carrés. Harlin Quist ne m’a laissé que trois semaines pour le dessiner. J’ai choisi le thème des mondes à l’envers qui m’a toujours beaucoup intéressé.


Couverture de Moka, Mollie, Max et moi, publié chez Harlin Quist en 1976



Ils sont superbes, ces petits livres carrés. J’essaie d’en trouver dans les vide-grenier mais ils ne sont pas faciles à chiner. En regardant Moka, Mollie, Max et moi, je vois une référence à Little Nemo de Winsor McCay.


Oui, tout à fait ! Au début des années 70, Pierre Horay avait republié les aventures de Little Nemo et je lisais tous les soirs une double page à mes enfants. J’ai été très durablement marqué par les images de McCay.


LittleNemo in Slumberland, Winsor McCay, 1905-1914



Vous entretenez un goût marqué pour l’absurde, le nonsense.


La découverte d’artistes comme Edward Lear m’a beaucoup inspiré.



A Book of Nonsense, Edward Lear, 1861

Quel illustrateur génial !


Oh oui, complètement ! En référence aux Limericks d’Edward Lear, j’ai dessiné L’homme qui voulait apprendre à marcher aux poissons, mis en page par Patrick Couratin. On a essayé d’en reprendre l’esprit, sans traduction littérale. Le livre est sorti en 2008 aux éditions Panama créées par Jacques Binsztok, après avoir quitté le Seuil. Brigitte Morel et Sabine Louali qui ont fondé les éditions LES GRANDES PERSONNES, avec qui je collabore encore aujourd’hui, y dirigeaient le secteur Jeunesse.

L’homme qui voulait apprendre à marcher aux poissons, Editions Panama, 2008, Acrylique sur papier


Il y a, dans vos dessins, une forme de cruauté assumée qui se mêle à l’absurde.


Oh oui, une cruauté que l’on retrouve également dans les images du monde renversé, dont les gravures sur bois se sont répandues dans toute l’Europe à partir du 16ème siècle. Je pense à l’instant au bœuf égorgeant le boucher. Ces images n’étaient pas destinées aux enfants !



Vous avez toujours eu une certaine liberté de ton.


J’ai bénéficié d’une certaine liberté, c’est vrai. Je créais des images qui me plaisaient tout en sachant à quel public – les enfants - elles étaient destinées, même si certains ont pu dire que mes livres ne leur étaient pas spécialement adressés.



Ils se trompent ! Devenus grands, ces enfants ont été si durablement impressionnés qu’ils viennent vous interviewer sur votre art !


J’essaie de garder cette liberté de ton avec des éditeurs indépendants comme les éditions Motus dirigées par François David qui est aussi auteur pour d’autres maisons d’édition. Regardez ce livre de recettes farfelues, Cuisine au beurre noir.


Henri Galeron tourne les pages du livre et récite les recettes écrites par Michel Besnier, un sourire en coin.


« Pour faire un canapé, il ne suffit pas d’avoir des pointes d’asperge et des clous de girofle, il faut un petit marteau de cuisine en argent ».



Encre sur papier, Cuisine au beurre noir, éditions Motus, 2019


Ou encore celui-ci : « Prenez la cervelle d’un mouton qui a un bon quotient intellectuel, faite dégorger pour enlever le sang, les mauvaises pensées et les neurones usagés, plongez dans un bourre-couillon, couvrez d’une sauce au beurre noir ».



Les illustrations sont dessinées à l’encre de chine ?


J’utilise des stylos japonais à encres pigmentées avec des pointes de différentes tailles.


Ecoutez encore cette recette : « N’avoue jamais pense le navet et même sous le couteau. Pour le faire parler, il faut l’ébouillanter, l’égoutter, le saupoudrer de sucre. Pour le faire chanter, il faut le laisser à petit feu dans un bon jus de bœuf ». Ce livre ne s’adresse pas qu’aux enfants, mais ce sont des livres pour la jeunesse !


Henri Galeron me montre un autre livre magnifiquement illustré.



Dans mon oreille est un autre livre publié aux éditions Motus dont j’ai illustré les textes. Nous avons choisi deux graisses pour le lettrage du titre de telle sorte que l’on puisse aussi lire Dans mon œil ! Les textes de Philippe Annocque sont écrits sur le principe suivant : la deuxième ligne reprend les lettres de la première pour créer un nouveau mot. L’oreille devient œil (« Dans mon oreille, je cache mon œil »), la marionnette, la main (« L’âme de ma marionnette, c’est ma main »), les batailles, des billes (« Tant de batailles pour des billes »), une rose et un bouton, une robe (« Une rose, un seul bouton, c’est une robe »). Pour ce dernier, j’ai bien sûr pensé à Granville en dessinant une fleur animée.


L'âme de ma marionnette, c'est ma main. Acrylique sur papier, 2013


Vos images et beaucoup des textes que vous illustrez ne se dévoilent pas entièrement au premier regard.


J’adore me casser la tête pour trouver des images sur des petits poèmes comme ceux-là.



La poésie vous a-t-elle inspiré au même titre que les arts plastiques et graphiques ?


Beaucoup plus, même ! Chaque mot est un concentré d’idées à partir desquelles on peut créer des assemblages d’images imprévues ou imprévisibles.



Il y a quelque chose du collage dans vos dessins.


En lisant des poèmes, je note les mots qui entrent en résonance les uns avec les autres, les associations d’idées, je les assemble ensuite puis crée les images que ces juxtapositions m’inspirent.



Votre œuvre, prolifique, est très picturale. Les images que vous créez pourraient se suffire à elles-mêmes et vos dessins être exposés dans des galeries ou des musées au même titre qu’un tableau de Magritte par exemple. A vous écouter, pourtant, votre travail est indéfectiblement lié aux livres.

La reproduction de mes images sur des livres m’intéresse beaucoup plus que mes images sur des cimaises. J’aime regarder un livre à trente centimètres, bien installé dans mon fauteuil. On est tranquille chez soi, on tourne les pages à son rythme, on approche le livre, on l’éloigne…



Les images d’un livre sont conçues comme un ensemble. Dans le processus de conception, la mise en page est une étape essentielle, à la fois graphique et porteuse de sens.


Avant même de créer une image, je pense à l’ensemble du livre et ce fil conducteur se poursuit jusqu’à la mise en page. J’ai beaucoup appris au contact de mon ami Patrick Couratin. Pour tous les livres dont il a été éditeur ou coéditeur, il proposait plein de solutions graphiques et me demandait mon avis dès qu’il n’était pas sûr de son choix. Il m’a transmis de nombreux enseignements. Par exemple, dans un titre, l’image ou le texte prend le dessus, mais il ne peut y avoir égalité entre les deux. Autre chose : le texte doit être placé en dehors ou intégré à l’image mais jamais plaqué sur le dessin.


Une image du livre ABCD pour tous, Henri Galeron, éditions Les Grandes Personnes, 2017



La typographie tient aussi une place de premier ordre. D’où vous est venu le goût des lettrages ?


Le dessin de lettres faisait partie de l’apprentissage aux Beaux-Arts et je me suis passionné pour cette pratique. Je maniais alors les outils de l’époque - compas, tire-lignes, plus tard les Rapidographes… - avec une certaine dextérité. Les revues spécialisées comme Graphis que je feuilletais laissaient une large place à la typographie. Le dessin de lettres est donc venu assez naturellement. Combien d’illustrations dénaturées par une vilaine typographie ! Cela arrive très souvent, malheureusement. Annie (l’épouse d’Henri graphiste, qui a mis en page nombre de ses livres) et moi choisissons et plaçons les typographies pour les livres publiés par les éditions Motus et Les grandes personnes. Ma femme manipule très bien InDesign, Photoshop et Illustrator.



Evoquer les livres me conduit à vous parler de votre collaboration prolifique pour la collection Folio et votre rencontre avec Robert Massin qui en avait conçu la maquette.


Le Kidnapping de la cafetière dont je vous parlais tout à l’heure m’a ouvert de nombreuses portes. Sur la recommandation de Ruy-Vidal, je suis allé voir Massin au début des années 70 au moment de la création de la collection Folio. Il m’a tout de suite confié des images. Souvent dans ma vie, je me suis trouvé au bon endroit, au bon moment ! Le premier Folio que j’ai illustré était Vercoquin et le plancton de Boris Vian en 1972. Ce fut le début d’une longue collaboration : L’âge de raison de Sartre, La mort dans l’âme et tant d’autres sont venus ensuite ! La mise en page de Massin était très belle. Il laissait l’illustration s’exprimer en toute liberté, en rencontrant si besoin le titre. Après son départ, des modifications ont été apportées à cette maquette : changement de typographie, illustrations coupées de manière rectiligne, utilisations de photos issues de banques d’images… Massin était furieux que l’on en ait ainsi dénaturé l’esprit !


Couverture de Les mains sales pour la collection Folio, 1972



Le fond blanc de la maquette a été maintenu mais pas l’ensemble de ses principes constitutifs… Vous avez également longuement collaboré pour Folio Junior…


Le bureau de Massin était contigu de celui de Pierre Marchand qui venait de créer le département jeunesse chez Gallimard. Presque simultanément, j’ai donc travaillé pour les deux collections. Nous regardons la liste des collaborations : L’appel de la forêt, Charlie et la chocolaterie, Le grand ascenseur de verre, Sans famille, La case de l’oncle Tom, Le petit chose… Là aussi, la liste est très longue !



Prenons Le Petit chose dont la couverture m’a beaucoup fascinée, jeune adolescente. Cette histoire triste – inspirée de l’enfance d’Alphonse Daudet - était sublimée par cette couverture étonnamment colorée, mélancolique mais aussi empreinte de gaité. Cette ambivalence était-elle volontaire ?


J’avais souhaité cela, oui. Ce que Daudet racontait de son enfance se déroulait dans le pays où j’avais moi-même vécu une vie de contraintes. Mon père était très exigeant et ce qu’il se passait à l’extérieur de notre maison, la nature notamment, offrait des perspectives d’évasion. C’est ce que j’ai voulu représenter sur cette couverture de livre.



Acrylique sur papier, illustration pour la couverture de Le petit chose, Folio Junior, 1984



Cette promesse d’évasion a pu vaincre de nombreuses réticences d’enfants à ouvrir le livre.


C’était mon souhait. Créer des couvertures de livre est un des exercices sinon l’exercice qui m’a le plus intéressé dans mon métier d’illustrateur. Une couverture doit réunir plusieurs critères : une image attirante qui doit intriguer tout en étant belle graphiquement – elle doit se voir sur un présentoir - , dire un petit peu du livre sans tout raconter non plus et, bien sûr, donner envie de l’ouvrir. A ce titre, montrer de la tristesse ou de la noirceur ne convenait pas à un livre comme Le petit chose, destiné aux enfants.



Cette intention a été parfaitement ressentie par l’enfant que j’étais.


J’en suis ravi ! Pour parvenir à cet objectif, l’exercice n’était pas toujours facile à mener. La première étape était de lire le livre confié du début à la fin en prenant des notes sur des situations qui m’intéressaient ou des phrases ou mots qui pouvaient évoquer des images. Une fois cette étape achevée, je dessinais les croquis.



Les Folio sont des livres de poche, donc des petits formats. Une contrainte était de pouvoir accrocher l’œil avec des petites images. A ce titre, j’avais, enfant, beaucoup plus aimé la couverture de Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl où la tête de Charlie apparaît en grand avec du chocolat coulant que celle de la suite, Le grand ascenseur de verre, que je trouvais moins lisible.


Cette couverture m’a posé des problèmes ! Je n’étais pas très content de ce que j’ai fait.



Ce livre est beaucoup moins bien que Charlie : l’explication est peut-être là. L’histoire vous a sans doute moins inspiré.


Oui, certainement. L’intérêt que je porte au texte est effectivement un point déterminant de mon inspiration. Dans les Folio junior, j’ai beaucoup aimé illustrer Poil de carotte, Le livre de la jungle, Le lion de Kessel ou encore L’histoire de la mère Michel. Cette couverture avec une image dans l’image me plait beaucoup !

Illustration pour Histoires de la mère Michel, Folio Junior, 1979

Nous parcourons la liste des Folio Junior illustrés par Henri et je tombe sur L’île du Docteur Moreau, de H.G. Wells. Tiens je l’ai récemment acheté à ma fille ! La couverture est très belle, assez effrayante.


Gallimard a gardé mon illustration pour les rééditions ?



J’ai acheté le livre sur un vide grenier et c’était une vieille édition.


Assez souvent, Gallimard renouvelle les couvertures lors des nouveaux tirages. Il est arrivé que l’on me confie la réalisation d’une couverture illustrée par d’autres auparavant. Ca me gênait beaucoup. Je l’ai subi aussi, je sais ce que c’est !



La maquette créée par Massin pour Folio est pourvue de ce fameux fond blanc. N’était-ce pas intimidant d’intervenir sur une page blanche ?


Ce fond me facilitait le travail. Je n’ai jamais beaucoup aimé dessiner les décors, sauf quand ils sont utiles à la compréhension de l’image. L’insertion de l’image sur du blanc m’intéressait à ce titre. Je n’aimais pas l’idée d’un décor purement esthétique et me cantonnait à une ligne d’horizon rehaussé de quelques petits arbres ou maisons s’il était important de montrer que la scène se passait dans un paysage.



Couverture pour La peste de Camus dans la collection Folio, 1972



On en revient à la simplicité des dessins d’Edward Lear dépourvus eux aussi de tout décor. La couleur revêt en revanche une place importante dans vos dessins.


Oui, elle est particulièrement importante pour les couvertures et les affiches. Au moment où j’ai l’idée du dessin que je veux réaliser, je pense déjà à la couleur. Quelquefois je modifie le dessin de départ en fonction de la couleur que je veux utiliser parce que je sais que telle couleur que je suis obligé de mettre à tel endroit n’ira pas avec telle autre à proximité. Couleurs-forme-dessin fonctionnent en même temps. Je ne fais pas de coloriage !



Quelles techniques utilisez-vous pour vos mises en couleur ?


Quand j’ai commencé à la fin des années 60, j’utilisais des encres de chine colorées et des écolines. Cette technique est malheureusement fragile et les originaux passent un peu à la lumière. Je suis ensuite passé à l’acrylique.



Les dessins du Kidnapping de la cafetière sont rehaussés de petites hachures. Vous avez ensuite complètement abandonné cette technique.


C’était une mode à l’époque avec Maurice Sendak, Crumb… J’ai continué quelques années et arrêté ce procédé en 1978. Ca permettait de masquer quelques défauts. Je le perçois maintenant un peu comme un truc !



Il est toujours intéressant de voir un style évoluer jusqu’à prendre une forme et une identité personnelles. Chaque travail vous a-t-il appris quelque chose ?


Oui, énormément. Dans les techniques utilisées, notamment. A la fin des années 70, j’ai commencé à utiliser les couleurs acryliques appliquées en épaisseur ou diluées comme une aquarelle. Avant de l’utiliser pour un album complet – La pèche à la baleine de Prévert dans la collection « Enfantimage » - je m’y étais exercé sur des couvertures Folio.


Dessin réalisé pour La pèche à la baleine, Prévert, acrylique sur papier, 1979


Entre le dessin et l’impression, les couleurs sont-elles fidèles ?


Pas toujours, mais avec l’impression numérique on arrive désormais à une fidélité presque absolue. Cela dit, le fait que les couleurs soient un peu altérées ne m’a jamais gêné. C’est l’ensemble qui est modifié dans ce cas et les rapports de couleurs se rééquilibrent. Seule l’impression des livres de la collection Enfantimage m’a déçu. Ils imprimaient en amalgame plusieurs livres en même temps dont les dessins étaient réalisés avec des techniques différentes : les miens à l’acrylique avec des épaisseurs sombres, d’autres comme ceux de Georges Lemoine avec des couleurs aquarellées très pales. L’imprimeur devait trouver un équilibre entre des images de teintes très différentes et le résultat était souvent très médiocre.



C’est d’autant plus dommage que ces petits livres qui présentaient des textes de grands auteurs anciens et contemporains ont été illustrés par les meilleurs dessinateurs. Combien en avez-vous réalisés ?


Beaucoup ! Le voyage au pays des arbres de Le Clézio, L’histoire naturelle de Jules Renard au départ publié par le magazine Okapi pour lequel j’ai beaucoup collaboré, Le doigt magique de Roald Dahl, La pèche à la baleine, Le pont de Kafka, Lettre d’anniversaire de Lewis Carroll. Je crois que c’est le dernier.



Cliquer sur chaque image pour l'agrandir (livres de la collection Enfantimage illustrés par Henri Galeron)



La collection s’est ensuite arrêtée au début des années 80.


J’aimais bien travailler pour cette collection. C’est dommage que Gallimard l’ait abandonnée. Ils ont repris les titres qui se vendaient le mieux – plus de 10.000 exemplaires pour un éditeur comme Gallimard - et les ont republiés dans d’autres collections comme Folio cadet. Les images étaient recadrées sans notre autorisation, coupées sur les bords ou sur la hauteur. Après le départ de Pierre Marchand, le soin apporté à tous ces détails n’était plus le même…



Diriez-vous qu’un art du livre s’est perdu dans ces grandes maisons d’édition ?


Je ne connais pas toute leur production mais c’est effectivement une des raisons pour lesquelles je ne travaille plus avec eux. On a toujours affaire à des intermédiaires, ce qui n’est pas le cas chez les petits éditeurs avec qui j’entretiens des rapports directs et bien souvent amicaux. Avec eux, je ne rencontre pas non plus le problème toujours douloureux de la mise au pilon : ils connaissent leur public et le nombre de livres à tirer. Les tirages sont bien plus modestes que ceux des documentaires Gallimard, comme Le chat, qui se sont vendus partout dans le monde à des centaines de milliers d’exemplaires !



Le chat, illustré par Henri Galeron, Gallimard Jeunesse, 1989



Ces documentaires Gallimard sont un tout autre travail, proche de représentations naturalistes.


Ce travail m’a permis de me perfectionner dans la technique de l’acrylique. Il n’était pas question d’apporter de quelconques détails surréalistes. L’exigence de réalisme à laquelle cet exercice m’a astreint m’a conduit à plus de précision dans mon travail personnel.



Les rhodoïds imprimés sont beaux.


L’éditeur a fait face à une difficulté pour imprimer le rhodoïd recto verso, sans que l’on voie la couleur de l’autre côté. Le recto était imprimé sur une couche de blanc sérigraphiée et le verso, directement sur le film. La technique a été assez longue à mettre au point et c’est un imprimeur italien de Trieste qui a finalement trouvé la solution et remporté le marché.



Comment se fait-il que, malgré les centaines de milliers d’exemplaires vendus et votre très prolifique bibliographie, le nom Henri Galeron reste relativement peu connu du grand public ?


Je ne sais pas… Souvent, le nom des illustrateurs est écrit en tout petit sur la quatrième de couverture ou parfois même omis. Il m’arrive de chercher un bon moment le nom d’un illustrateur sur un livre avant de le trouver.


Henri Galeron se saisit d’un CD illustré d’une pochette qu’il a dessinée.


Regardez cette compilation des disques de la collection CHEVANCE, des 45 tours sortis dans les années 70 chez LE CHANT DU MONDE pour qui j’ai également illustré Chantefable de Desnos et Les erreurs de Jean Tardieu : mon nom n’apparaît qu’en minuscule sur la troisième de couverture du livret. Il faut aller le chercher !


Dessin réalisé dans les années 70 pour une pochette de 45 tours sortis chez Le chant du monde.



Nous parlons de papier depuis le début de l’interview mais vous avez aussi dessiné des costumes.


En 2013, un jeune metteur en scène – Alexandre Camerlo – m’a confié le soin de dessiner les décors et les costumes pour une adaptation de L’enfant et les sortilèges de Ravel qu’il montait au théâtre du Capitole à Toulouse. Après hésitation, j’ai accepté. C’était formidable ! Je n’avais aucune idée que tout était réalisé en interne dans les ateliers du théâtre, très fidèlement aux dessins.




Vous aviez une connaissance des tissus ?


Absolument pas et c’est pour cela que j’avais hésité ! La cheffe costumière, qui travaillait auparavant à l’opéra de Paris, avait l’habitude de se fournir en tissus dans la banlieue nord de Paris et j’ai pu l’accompagner dans son choix de tissus. En 2018, le musée de Moulins (Centre national du costume de scène) a exposé certains des costumes.


Dessins de costumes de L'enfant et les sortilèges, 2013



Quels sont vos projets ?


A l’initiative de l’éditeur LES GRANDES PERSONNES, je dois illustrer des poèmes très connus tombés dans le domaine public. Ce n’est pas encore évident pour moi, car ces œuvres ont déjà été illustrées par nombre de grands artistes comme Granville, Doré et bien d’autres par la suite, dont jacques Carelman. Je ne sais pas encore comment je vais me sortir de ça…


Henri Galeron sourit d’un air malicieux. Nous n’avons évidemment aucune crainte quant à l’heureuse issue de cette nouvelle entreprise et avons hâte de pouvoir le découvrir…


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